• Divertir pour dominer .... (OFFENSIVE)

      

    2010     268 p.    13,20 €

       Le développement de la culture de masse a entraîné l'érosion des formes autonomes de culture populaire et la dissolution des liens sociaux au profit d'un monde artificiel d'individus isolés, fondement de la société de consommation. Le capitalisme ne peut donc être réduit à un système d'exploitation économique, il représente un "fait social total".II ne tient que sur l'intériorisation d'un imaginaire et grâce au développement d'une culture du divertissement permanent. Cette uniformisation des comportements et des aspirations se présente comme l'affranchissement de toutes les contraintes (sociales, spatiales, temporelles, etc.). Survalorisée et triomphante, la culture de masse (séries américaines, nouvelles technologies, football, jeux vidéos, etc.) trouve des défenseurs même chez les intellectuels dits contestataires. Il est donc urgent et nécessaire de mener une critique intransigeante du mode de vie capitaliste et de démontrer comment notre civilisation du loisir participe de la domestication des peuples.

      "Offensive, comme son nom l’indique, est là pour bousculer. « Libertaire et sociale », cette revue anticapitaliste donne le ton dès le titre de l’ouvrage, qui s’organise autour de quatre domaines : télévision, publicité, sport et tourisme. Ici, tout est passé au crible d’une critique sans concessions, voire alarmiste.

       Les membres d’Offensive prennent la parole, ou la donnent à des acteurs du milieu culturel, pour déconstruire les apparents bienfaits de la culture dite de masse. Les textes (interviews, entretiens, extraits d’articles ou de livres) dressent le portrait d’une société ravagée. Où le spectacle télévisuel « simule le monde, nous piège et nous emprisonne » ; où les publicités « standardisent nos regards et anesthésient nos vies » ; où l’idéologie sportive véhicule « un système hétérosexiste » ; où le tourisme « sert une vision hygiéniste du monde » ; et où l’humanitaire incarne « la dernière frontière de la colonisation ». En somme, la culture de masse participerait à l’édification d’un « hypercapitalisme », mais surtout à l’anéantissement de toute liberté."

    Cécile Strouk  Le Monde Diplomatique 

    Un extrait:    Homo publicitus ; une domestication quotidienne

        L’histoire de la publicité est relativement récente et découle de l’évolution d’une société industrielle. Les premières agences de publicité apparaissent à la fin du XIXe siècle, lorsque la Révolution industrielle vient modifier en profondeur les rapports sociaux. La production de masse et le développement des grands centres urbains rendent nécessaire la mise au point de nouvelles techniques pour mettre en relation producteurs et consommateurs. En France, Emile de Girardin, le fondateur du quotidien La Presse en 1836, est le premier à vendre des espaces de son journal à des annonceurs. La multiplication des panneaux, affiches et enseignes, injonction permanente à l’acte d’achat individuel, permet d’étendre le contrôle social bien au-delà de l’usine. Jules Arren est le premier Français à écrire un manuel de publicité en 1912. L’Ecole technique de publicité est créée en 1927 sur l’initiative d’annonceurs. Mais le véritable bond en avant de la publicité se fait après la seconde guerre mondiale, avec l’arrivée dans les foyers de la télévision. L’Angleterre, l’Italie et la Suisse autorisent rapidement la diffusion de spots télévisés. En France, il faut attendre 1968 pour que le gouvernement Pompidou, prétendant vouloir adapter l’économie française à ses concurrentes européennes, autorise la diffusion des premiers spots  (limitée initialement à 7 minutes par jour) sur une chaîne nationale. Aujourd’hui, comme l’a rappelé Patrick le Lay, président de TF1, « Nos émissions ont pour vocation de rendre disponible le cerveau du téléspectateur, c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. » (Le Monde du 11-12 juillet 2004) 

      On n’aliène jamais mieux autrui qu’en lui rappelant sa liberté. Affirmer dans chaque slogan publicitaire la liberté de choix des consommateurs, c’est vouloir faire coïncider une production industrielle décidée à l’avance avec les envies de chacun. Le schéma classique du besoin qui porte vers l’objet s’est renversé, les objets génèrent des désirs qui, à leur tour, créent des besoins. Le désir d’objet a pris le pas sur le désir d’être. La publicité est le fleuron le plus abouti de l’arsenal capitaliste de domestication. Plus question de rêver au « grand soir », car l’important est de vivre cette vie cool et branchée vantée par telle marque de chaussures ou de boissons gazeuses. Le discours publicitaire joue constamment sur l’idée de rupture. Or, il ne s’agit pas ici d’une rupture collective avec l’ordre établi, mais d’une rupture individuelle manipulée au sein d’une société en perpétuel mouvement. Tout acte de contestation est transformé en spectacle par la publicité, et par là même dépolitisé. Les utopies politiques meurent, assassinées et remplacées par l’individualisme grégaire de la consommation publicitaire. Penser la contestation anti-publicitaire, c’est donc penser la lutte anticapitaliste.

    L’industrie et la publicité se présupposent réciproquement. Une société qui produit le nécessaire pour vivre n’a bien sûr pas besoin de publicité. La publicité transforme le niveau de vie des gens, elle les persuade par exemple qu’il vaut mieux acheter des soupes en boîte que les faire soi-même, ingurgiter des boissons gazeuses plutôt que boire de l’eau, se déplacer en voiture plutôt qu’en vélo. La publicité, vecteur de toutes les innovations, apparaît dès lors comme une machine de guerre contre les traditions culturelles d’autonomie populaire. Il en résulte une société où les producteurs ne consomment jamais ce qu’ils produisent et où les consommateurs ne produisent jamais ce qu’ils consomment. Il y a une perte totale d’autonomie vis-à-vis du système social. Ce n’est plus le client qui va sur le marché chercher les biens dont il a besoin, auprès de commerçants qu’il a appris à connaître, ce sont des commerciaux invisibles qui traquent les consommateurs jusque chez eux pour leur inoculer les besoins nécessaires à la reproduction du capital. Il faut que le prolétaire achète, non plus pour satisfaire ses besoins primaires, mais pour satisfaire les exigences historiques de la machine capitaliste. Les techniques publicitaires de la grande industrie américaine sont tellement impressionnantes qu’en 1932 Goebbels, le propagandiste d’Adolf Hitler, déclarait vouloir employer « des méthodes américaines à l’échelle américaine » dans sa propagande.

    Les gens ne perçoivent que les pubs prises isolément sans voir que l’ensemble forme un discours en réseau qui programme ce qu’on pourrait appeler un mode d’emploi de la vie, ce que François Brune appelle le « bonheur conforme ». Ce bonheur est structuré par l’idéologie de la consommation. La publicité est totalitaire à deux niveaux. D’abord elle coupe tous les espaces et le temps, elle est omniprésente dans la cité. La publicité est aussi totalitaire dans sa conception de l’être humain. Elle prétend répondre à tous les aspects de l’existence : le bonheur relationnel, l’engagement citoyen, la dimension spirituelle. Elle est une main mise sur toutes les valeurs traditionnelles, valeurs pourtant en opposition avec la consommation. Les pubs prônent la révolution tous les matins, elle prétend occuper tout le champ humain. Le discours publicitaire ne connaît pas la négativité, il s’est débarrassé du principe dialectique qui veut qu’au sein de tout discours travaillent des forces antagonistes. En récupérant toutes les autres formes de discours, la publicité se présente comme le régulateur de toute communication qu’elle soit marchande ou non marchande. Le langage publicitaire est donc éminemment politique, il détourne le politique, il finit par le remplacer. Il n’est donc pas surprenant de voir l’imagerie révolutionnaire détournée à des fins mercantiles. L’image de Che Guevara, de Gandhi ou l’iconographie soixante-huitarde sont pillés ou parodiés pour servir les intérêts de la grande distribution. La publicité s’affirme ainsi comme seule projection possible d’un avenir radieux.

    Ce qui la différencie des totalitarismes d’antan, c’est qu’il est moins brutal, beaucoup plus insidieux. La publicité cultive ce que René Girard a défini comme « désir mimétique » : je dois désirer ce que l’autre désire. Avec la télévision et les médias de masse contemporains, tout le monde regarde les mêmes choses, et tout le monde apprend à désirer, ou pire encore, percevoir les mêmes facettes du monde moderne. Privés de singularité, les individus cherchent à se singulariser par les artefacts que leur propose le marché. L’individu devenu segment de marché, la conscience transformée en enjeu commercial, les sociétés contemporaines voient s’ouvrir l’horizon d’un monde devenu à la fois rationnellement et pulsionnellement totalitaire. Le système publicitaire divise la société en deux groupes distincts, entre émetteurs actifs dotés des pouvoirs économiques et politiques, et récepteurs passifs chargés de consommer à outrance. Comme le disait Adlous Huxley, le principe de stabilité sociale consiste à faire désirer aux gens ce qu’on a programmé pour eux. C’est exactement ce que fait la publicité, elle nous enferme dans une cage.

    Une cage ne se partage pas, elle se saccage. La lutte antipub est bien une lutte à part entière et non une parenthèse entre deux luttes sociales « sérieuses ».


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