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Elinor Ostrom et les 8 principes de gouvernance des communs
Elinor Ostrom, économiste et politologue américaine, reprend à la base la question de la gestion des biens communs avec des observations empiriques. Ses études de terrain, menées sur plusieurs continents, lui permettent de constater que des communautés humaines sont capables de gérer des ressources communes telles que des pêcheries, des systèmes d’irrigation, des nappes phréatiques, des forêts ou des pâturages, de façon plus efficace pour l’exploitation comme pour la préservation à long terme de la ressource.
Dans son ouvrage Governing The Commons, publié en 1990, Elinor Ostrom met en évidence un ensemble de principes à respecter par la communauté pour y parvenir. La liste de ces 8 critères est aujourd’hui aussi célèbre que l’avait été l’article de Hardin. Ils définissent les conditions de mise en place d’une gouvernance ouverte :
— des groupes aux frontières définies ;
— des règles régissant l’usage des biens collectifs qui répondent aux spécificités et besoins locaux ;
— la capacité des individus concernés à les modifier ;
— le respect de ces règles par les autorités extérieures ;
— le contrôle du respect des règles par la communauté qui dispose d’un système de sanctions graduées ;
— l’accès à des mécanismes de résolution des conflits peu coûteux ;
— la résolution des conflits et activités de gouvernance organisées en strates différentes et imbriquées.
À l’opposé des théories abstraites et uniformes sur le comportement d’homo œconomicus, les 8 principes d’Elinor Ostrom mettent en valeur la créativité et la résilience des groupes humains pour se doter de systèmes de gouvernance de leurs biens communs. Une bonne nouvelle pour la planète et ses ressources que l’on découvre limitées, et déjà fortement surexploitées, à la même période.
Les communs de la connaissance
La connaissance est souvent considérée par les économistes comme un bien public au sens de Paul Samuelson, c’est-à-dire non-excluable (il est difficile d’empêcher le savoir de circuler) et non-rival (ce que je sais ne prive personne du même savoir). Pourtant, des phénomènes d’enclosure peuvent se produire dans la diffusion de la connaissance, et c’est précisément ce qui intéresse le juriste américain James Boyle. Dans son ouvrage The Public Domain : Enclosing The Commons Of The Mind, paru en 2003, James Boyle compare l’extension continue des droits de propriété intellectuelle à un « second mouvement d’enclosure », menaçant l’accès à la connaissance conçue comme un bien commun.
Dans la suite de ses travaux, Elinor Ostrom s’intéresse à son tour aux communs de la connaissance. L’ouvrage collectif qu’elle codirige avec sa collègue Charlotte Hess, sur les nouveaux communs de la connaissance, qui paraît en 2007, propose d’ailleurs une définition des communs plus englobante : « les communs sont des ressources partagées par un groupe de personnes et qui sont vulnérables aux dégradations et aux enclosures ».
Dans cette nouvelle approche, les communs ne recouvrent plus une simple catégorie de biens, comme les biens naturels, mais des agencements de rapports sociaux qui contribuent à leur production ou leur maintien, des systèmes de règles sociales et de gouvernance pour des actions collectives.
Les travaux d’Elinor Ostrom seront couronnés par le prix Nobel d’économie en 2009, ce qui mettra un nouveau coup de projecteur sur le sujet des biens communs et sur son approche intellectuelle, la « nouvelle économie institutionnelle » qui interroge le rôle joué par les institutions dans la coordination économique.
Extension numérique du domaine des communs
Avec le réseau Internet, le mouvement des communs rencontre un nouvel objet à intégrer à son nouveau cadre théorique. Réseau distribué, dont les protocoles, les règles et les normes sont discutés par un collectif d’ingénieur∙e∙s qui sont aussi producteur∙rice∙s du réseau, Internet est rapidement reconnu comme un commun. La question de la neutralité du net, un combat très en vue aujourd’hui, pose clairement la réalité du risque d’enclosure, tout comme l’apparition en deux décennies des firmes géantes du Net.
La communauté du logiciel libre ou open source, face aux géants de l’informatique et des logiciels propriétaires, promeut et illustre avec éclat qu’il est possible de créer et de gérer des communs numériques de façon efficiente. Choisir d’ouvrir le code à qui veut, pour le modifier ou l’améliorer, se révèle une idée d’une puissance fantastique, pour mobiliser la créativité d’une communauté de développeur∙se∙s rassemblé∙e∙s autour de la vision partagée d’une liberté à défendre. Ces expériences de collaboration à très grande échelle et à distance, avec des machines en réseau, changent l’horizon de l’organisation du travail collaboratif humain et deviennent une source d’inspiration pour d’autres secteurs d’activité.
Les transformations de l’économie de la connaissance, sous l’effet de la digitalisation, ont donné lieu à des concrétisations inspirées par la culture du libre et des communs : ainsi le mouvement de l’Open Access ou libre accès, pour les publications universitaires et l’approche des licences libres (Creative Commons) face au droit d’auteur∙e et au copyright.
Les années 2010 voient le triomphe des plateformes (Facebook, Amazon, Uber ou AirBnB) dont le modèle économique « winner takes all » pousse à grande vitesse à l’apparition d’acteur∙rice∙s dominant∙e∙s qui captent la création de valeur. Il n’existe pas de loi anti-trust dans le droit international pour réguler la chose. Mais la culture du libre et des communs s’intéresse aussi aux économies de plateformes, en repensant les modes de gouvernance et en substituant à la logique de plateforme une logique de réseau collaboratif. Ainsi des initiatives comme Framasoft ou Outils-Réseaux, qui visent à renforcer l’autonomie des individus face aux grands acteurs oligopolistiques, avec des outils créatifs et innovants comme les wikis* ou les chatons**.
C’est donc un foisonnement d’initiatives, de différentes communautés d’acteur∙rice∙s du champ de la connaissance et des réseaux qui poursuit l’extension du domaine des communs aux services numériques.
Très récemment en France, le Conseil National du Numérique (CNNum) a remis un rapport « Ambition numérique » au Premier Ministre, dans le cadre de la préparation de la loi de 2016 pour une République numérique. Il recommande de « promouvoir le développement des communs dans la société ». Une nouvelle petite musique s’élève aux portes de la puissance publique…
Des années 1990 aux années 2010, le renouveau de la théorie des communs sous l’impulsion d’Elinor Ostrom, couplé à l’émergence de phénomènes planétaires majeurs – un début de prise de conscience de la destruction des ressources naturelles, et la montée en puissance de communs numériques aux côtés d’acteur∙rice∙s surpuissant∙e∙s, ont mis ces questions sur le devant de la scène.
La malédiction des communs est bel et bien levée. Il était temps… Ainsi se découvrent une autre histoire à écrire, nécessairement en commun, et d’autres chemins sous nos pieds, pour protéger et gérer les ressources naturelles et immatérielles que nous avons et créons en commun.
POUR ALLER + LOIN
- Article Elinor Ostrom sur Wikipedia
- CNNum. Rapport Ambition numérique : Pour une politique française et européenne de la transition numérique, juin 2015.
- Hardin, Garrett. La Tragédie des Communaux (traduction de l’article The Tragedy of The Commons, publié en 1968 dans la revue Science par Garrett Hardin). Disponible en ligne.
- Maurel, Lionel. Comprendre les risques d’enclosure des communs de la connaissance : Réponse à Allan Greer. La vie des idées, La Vie des Idées, 2015.
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** CHATONS : Collectif des Hébergeurs Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires. Voir l'entretien avec Pierre-Yves Gosset pour en savoir plu