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    Cacao : le bon goût de l’éthique

    Paris Match | Publié le 03/01/2019

    Par Emmanuelle Jary

    Stéphane Bonnat avec Vanessa Phumpiu, responsable technique, et des ouvriers de la plantation

    Stéphane Bonnat avec Vanessa Phumpiu, responsable technique, et des ouvriers de la plantation Jean-François Mallet

    Au Pérou, comme dans toute l’Amazonie, le gouvernement tente de lutter contre la déforestation. En vain. Orpaillage, élevage de bétail, exploitation des essences de bois rares engendrent corruption et menaces. Coincées entre nécessité matérielle et attachement à leur forêt, les populations locales, pauvres, n’ont que ça pour vivre. Au milieu de ce marasme, un chocolatier français, Stéphane Bonnat, s’est allié à une grande famille péruvienne pour bâtir une plantation vertueuse. Paris Match l’y a suivi. Son cacao aromatique fait le meilleur chocolat ! 

    Qui peut se douter qu’en croquant dans une tablette de chocolat Madre de Dios, de la maison Bonnat, installée à Voiron dans l’Isère, on aide à la préservation de la forêt amazonienne et de ses populations indigènes ? Ce n’est écrit nulle part sur l’emballage, où pourrait pourtant figurer un logo de commerce équitable. « Je veux que les gens achètent mon chocolat parce qu’il est bon et non parce qu’il est issu d’une plantation durable », explique Stéphane Bonnat, qui dirige l’entreprise familiale. Mais l’un ne va pas sans l’autre, comprend-on en visitant une plantation située dans le sud-est du Pérou.

    Les cabosses sont cueillies à la main, en fonction de leur maturité.
    Les cabosses sont cueillies à la main, en fonction de leur maturité. © Jean-François Mallet

    Le jour se lève sur la forêt amazonienne. Un drôle de bruit vient troubler le silence. C’est le drone de Stéphane Bonnat, qui, comme un gamin, s’amuse avec son nouveau jouet. Il avoue être un peu geek. Deux Smartphone, une incroyable collection de motos, des drones, Stéphane, qui ne voyage qu’en classe affaires – depuis un accident de moto qui lui a « cassé le dos » –, aime ce qui brille. Après quelques minutes de vol au-dessus des cacaoyers, l’engin se pose au milieu des hommes en plein travail. Mais il n’a pas volé pour rien. Le chocolatier tourne un film à 360 degrés pour le Salon du chocolat (qui s’est tenu à Paris en novembre) grâce auquel les visiteurs ont pu découvrir la forêt comme s’ils y étaient.

    Stéphane Bonnat, passionné par la matière première, veut montrer à ses clients la réalité qui se cache derrière une tablette. « Ma présence dans les plantations a deux intérêts. Je peux, d’une part, goûter au mucilage, la partie blanche qui entoure la fève et qui donne des indications sur les saveurs à venir du produit, et, d’autre part, contrôler le soin apporté au séchage des fèves et à leur fermentation. J’ai donné des consignes pour que chaque étape soit réalisée selon mes désirs », explique-t-il.

    À près de 10 000 kilomètres de Voiron, l’enseigne de la maison Bonnat marque les arbres qui produiront son cru Madre de Dios.
       À près de 10 000 kilomètres de Voiron, l’enseigne de la maison Bonnat marque les arbres qui produiront son cru Madre de Dios. © Jean-François Mallet

    Fermentation et séchage sont deux étapes souvent mal maîtrisées, comme en témoigne Amanda Jo E. Wildey, anthropologue, qui a étudié le cacao dans le nord de la région de Madre de Dios. « Après quelque temps passé auprès de certains planteurs, je me suis rendu compte que beaucoup ne travaillaient pas comme il fallait le faire, laissant les fèves fermenter plusieurs jours sans les remuer, ce qui est une catastrophe pour la qualité finale du produit. » Il faut donc enseigner les techniques de travail à des hommes qui ne connaissent rien du cacao et leur fournir du bon matériel. Ce qu’a fait Stéphane Bonnat. Mais selon Vanadis Phumpiu, responsable technique de la plantation, ce suivi a d’autres vertus : « Stéphane ne fait pas qu’enseigner à nos travailleurs les bases d’un savoir qu’ils pourront valoriser dans une autre plantation ou en créant leur propre entreprise, il leur donne aussi de la fierté et de la dignité. Le fait qu’on s’intéresse à eux, qu’on les prenne en photo, qu’ils fassent même l’objet d’un article dans la presse, c’est énorme pour eux. Dans la forêt, il n’y a pas beaucoup de distractions et tout le monde a besoin de reconnaissance. Il n’y a pas que le salaire qui compte. » Avec 1 200 soles par mois (le salaire minimum légal au Pérou est de 930 soles), les trois repas fournis ainsi que le logement et la Sécurité sociale (dont certains n’avaient jamais bénéficié avant), ces travailleurs ne sont pas mal lotis. Ils peuvent épargner un peu d’argent pour leurs familles vivant souvent très loin. Car ces hommes ont traversé le Pérou pour trouver du travail.

    Un ouvrier de la plantation qui accueille plus de 30 espèces de cacaoyers et d’autres essences.
    Un ouvrier de la plantation qui accueille plus de 30 espèces de cacaoyers et d’autres essences. © Jean-François Mallet

    Assis sur un seau en plastique retourné, tout en cassant avec habileté des cabosses à la machette, Jorge, originaire du nord du pays, reconnaît avoir gagné beaucoup plus d’argent par le passé. Jusqu’à 400 soles par nuit alors qu’il travaillait dans une mine d’or illégale. « C’était un travail difficile et sale. Nous devions nous construire un endroit où dormir. La nourriture distribuée n’était pas suffisante. Il fallait chasser pour manger à sa faim. » A cause du salaire attirant, il est retourné trois fois à la mine. « J’ai vu des hommes mourir étouffés dans un éboulement. J’avais peur tous les jours. Et je suis tombé malade en buvant de l’eau contaminée, j’ai donc décidé de quitter la mine. » Content de son travail dans le cacao, surtout pour la sérénité que lui apporte la vie dans cette plantation et la bonne entente qui y règne ainsi que le confort, Jorge rêve un jour de pouvoir posséder sa propre exploitation.

      Ces tablettes, vendues plus de 8 euros en France, séduisent les plus grands amateurs

    Or, c’est tout l’objectif de cette plantation, comme nous l’explique son propriétaire, Miguel Yon Lo, que nous rencontrons chez Astrid y Gaston, un restaurant huppé de Lima. La famille de Miguel s’est enrichie dans le latex, mais rien chez cet homme ne peut laisser penser qu’il fait partie des fortunes du pays. Il n’arbore aucun signe extérieur de richesse et se présente, avec quarante-cinq minutes de retard, habillé de la manière la plus ordinaire dans ce haut lieu de la jet-set péruvienne. Miguel Yon Lo possède des usines de ballons et de gants et aussi des hôtels, des casinos, des restaurants. Mais il avoue faire « profil bas » par stratégie et pour vivre en paix. Difficile donc de recouper les informations qu’il nous livre tant sa vie est secrète. Il refuse habituellement les interviews et les prises de vue. Il faut croire que son projet lui tient très à cœur. « Il n’existe pas d’exploitation d’hévéas au Pérou. Nous nous fournissons en Asie. Mais notre idée est de créer une plantation qui deviendra, espérons-le, un business model pour les populations locales afin de les aider à sortir de la pauvreté. Nous avons acheté 200 hectares qui avaient déjà été déboisés et transformés en prairie pour l’élevage du bétail. Donc non seulement notre activité n’impacte pas le milieu, mais elle permet de réintroduire des arbres. Même si ce n’était pas notre intention première, la culture du cacaoyer étant compatible avec celle de l’hévéa, nous avons planté les deux espèces d’arbres. »

    La gamme des couleurs des cosses, gage d’une grande richesse aromatique du chocolat et c’est bon pour la biodiversité de la forêt !
     La gamme des couleurs des cosses, gage d’une grande richesse aromatique du chocolat et c’est bon pour la biodiversité de la forêt ! © Jean-François Mallet

    Selon Richard Pasquis, spécialiste de l’Amazonie au Cirad (centre de recherche agronomique pour le développement), ces systèmes agroforestiers permettent de récupérer les terres dégradées. Par ailleurs, depuis quelques années, la culture du cacao connaît un engouement, selon lui, dans les pays amazoniens, où il est de bonne qualité. C’est donc une alternative à la déforestation, mais le problème des débouchés économiques des produits se pose et freine l’installation des petits planteurs. C’est pour cette raison que Miguel Yon Lo a fait appel au chocolatier Stéphane Bonnat pour valoriser ses fèves. La famille Bonnat est connue pour avoir inventé les tablettes pure origine à l’occasion du centenaire de l’établissement, en 1984. Une idée de génie qui a fait entrer le chocolat dans la sphère de la gastronomie. De même qu’on parle de cépage et de terroir pour le vin, on parle désormais de type génétique et de terroir pour le cacao. « Développer un cacao de qualité va dans le sens de notre démarche. Stéphane Bonnat nous apporte son expertise dans l’entretien des arbres et surtout le travail des fèves après la récolte. C’est une double satisfaction : la formation pointue de nos travailleurs et un débouché prestigieux pour nos fèves », précise Miguel Yon Lo. Des fèves achetées 4 à 5 dollars le kilo quand le prix moyen est de 2 dollars. Mais le jeu en vaut la chandelle. Car ces tablettes, vendues plus de 8 euros en France, séduisent les plus grands amateurs. Elles partent jusqu’au Japon, où elles ont été commercialisées pour la Saint-Valentin.

    Le mucilage (pulpe blanche qui entoure les fèves dans la cabosse) donne des indications sur les futurs arômes du cacao.
      Le mucilage (pulpe blanche qui entoure les fèves dans la cabosse) donne des indications sur les futurs arômes du cacao. © Jean-François Mallet

    Pour ce qui est du latex, les usines de Miguel Yon Lo se chargeront de lui trouver des débouchés. « Pour l’instant, nous finançons la recherche. Nous avons fait venir des spécialistes du Brésil. D’ici à deux ans, j’espère que nous pourrons dire aux fermiers quelles espèces d’hévéas sont les mieux adaptées à la culture. Comment les planter et les entretenir. J’aimerais que ce type d’initiatives se développe. Il n’y a pas selon moi de meilleur business que celui qui est durable d’un point de vue environnemental et responsable d’un point de vue social. »

      J’ai constaté que beaucoup de choses pouvaient être entreprises avec la forêt plutôt que contre

      Originaire de Chine, le père de Miguel est arrivé au Pérou sans le sou, fuyant la Révolution culturelle dans les années 1960. Un vrai self-made-man. C’est sans doute son histoire personnelle qui incite aujourd’hui cette riche famille à investir dans un business durable. Mais ils ne sont pas les seuls. Au regard des autres pays amazoniens, le Pérou connaît beaucoup d’initiatives publiques et privées pour la sauvegarde de la forêt : financement des entreprises qui protègent les arbres, label de certification du bois issu d’exploitations durables, valorisation des produits non ligneux…

    Les fèves doivent sécher en plein air et être régulièrement remuées
     Les fèves doivent sécher en plein air et être régulièrement remuées © Jean-François Mallet

    La forêt amazonienne fascine. C’est une nature d’une richesse infinie. Nous en avons fait l’expérience sur le marché de Puerto Maldonado, capitale de Madre de Dios, où les espèces de poissons, à carapace pour certains, surprennent autant que les gibiers et les fruits à peau de serpent que les femmes vendent sur de petits stands. Dans un dossier consacré à l’Amazonie, « Courrier international » explique que dans un seul arbre, au Pérou, vivent plus d’espèces de fourmis que dans tout le Royaume-Uni. Le journal rappelle que 2 200 espèces ont été découvertes entre 1999 et 2015. Or, on estime que seulement 5 % des richesses amazoniennes sont connues. L’Amazonie, poumon de la planète qui fournit 20 % de notre oxygène, séduit par sa richesse et son mystère. Miguel Yon Lo est subjugué, et l’on s’émerveille aussi lorsqu’il nous raconte : « Quand nous avons commencé à penser à ce projet, j’ai voyagé en Amazonie péruvienne pendant deux ans et je suis tombé amoureux de la forêt. Parallèlement, j’ai pu constater que beaucoup de choses pouvaient être entreprises avec la forêt plutôt que contre. Ce fut une grosse motivation pour lancer ce projet. »

    On est loin de la monoculture des plantations dont sont issus les chocolats industriels

    Des recherches actuelles en Amazonie tentent d’impulser un développement économique fondé sur la biodiversité plutôt que sur l’arrachage des végétaux. C’est le cas de la marque de cosmétiques brésilienne Natura, qui utilise 20 % d’ingrédients provenant de la forêt, comme la castanha, appelée noix du Brésil, qui ne pousse qu’à l’état sauvage et dont il est interdit de couper les arbres. Ainsi, dans la plantation de cacao que nous avons visitée, le travail en agroforesterie, c’est-à-dire faisant coexister des arbres fruitiers, des hévéas, des fleurs et des cacaoyers, a permis à la biodiversité de se développer. « On a vu les oiseaux et les insectes revenir », explique Vanadis Phumpiu, qui, amusée autant qu’émerveillée, fait défiler sur l’écran de son téléphone portable toutes les étranges bestioles, parfois velues, qu’elle a pu observer la nuit dans la plantation, voire dans sa chambre !

    Bordée par la forêt secondaire, elle-même en bordure de forêt primaire, la plantation accueille plus de trente espèces de cacaoyers. « Nous nous sommes enfoncés dans la forêt pour chercher des variétés endémiques », explique-t-elle. Stéphane Bonnat confirme : « Cette importante diversité génétique donne une grande richesse aromatique. On est loin de la monoculture de certaines plantations dont sont issus les chocolats industriels. »

    C’est une des aberrations partout dans le monde : ceux qui sont à l’origine du chocolat n’en connaissent bien souvent pas le goût

    Chapeau à la Indiana Jones et couteau glissé à la ceinture, la tenue du Français prête à sourire. On comprend qu’il s’en amuse. Fasciné par cette Amazonie, c’est son rêve qu’il poursuit, ainsi qu’une longue tradition familiale d’aventuriers du chocolat. « Nous travaillons avec certains planteurs depuis plus d’un siècle comme en témoignent d’anciennes factures », précise celui qui a le chic pour raconter de belles histoires. Tandis que nous avançons avec lui dans la plantation, il s’arrête pour couper une cabosse et nous faire goûter à ce fameux mucilage à la saveur acidulée mais où nous ne percevons pas la moitié des arômes qu’il nous décrit. « C’est très floral, un peu citrique, avec une pointe d’orange et une fin de bouche mentholée. »

    Plus tard dans la journée, Stéphane Bonnat sort de sa valise des tablettes apportées de France. On assiste à nouveau à une dégustation commentée sur le fruité et la longueur en bouche du produit. Mais l’important est ailleurs. Pour la première fois, les travailleurs de la plantation goûtent à ce chocolat. C’est une des aberrations partout dans le monde : ceux qui sont à l’origine du chocolat n’en connaissent bien souvent pas le goût. Mais ici, où rien ne ressemble à ce qui se passe ailleurs, les hommes peuvent croquer dans une tablette alors qu’ils sont assis sur le tas de cabosses qui l’a fait naître et ainsi découvrir le fruit de leur travail. Un privilège rarissime, même pour les grands amateur


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