60 à 80 milliards d'euros rien que pour la France
C'est ce qui rentrerait dans les caisses de l'Etat chaque année si l'administration française percevait intégralement le montant de la fraude et de l'évasion fiscales, selon une estimation syndicale citée par Bernard Cazeneuve. Soit environ le budget de l'Enseignement scolaire et de la Défense réunis ! En cause : les entreprises fraudant sur la TVA ou sur le travail au noir, les grosses multinationales contournant la loi pour réduire leur taux d'imposition sur les sociétés, les particuliers plaçant leur épargne dans les paradis fiscaux ou échappant à l'impôt sur leurs revenus, etc.
Comment lutter ? D'abord en renforçant le contrôle fiscal. L'an dernier, il a permis de notifier 18 milliards d'euros de manque à gagner, explique le ministre du Budget, qui promet un renforcement des équipes (50 agents).
Plus de 200 milliards d'euros d'avoir
C'est le montant des avoirs que détenaient les ménages français dans les paradis fiscaux en 2008, selon Gabriel Zucman, chercheur à l'Ecole d'économie de Paris. Sur les 60 à 80 milliards évoqué par Bernard Cazeneuve, ce type de fraude représente un manque à gagner de plus de 15 milliards d'euros chaque année, calcule l'économiste. 10 milliards d'ISF, de droits de succession et d'autres impôts s'appliquant à ces capitaux et aux revenus qu'ils génèrent. 5 milliards de la baisse des intérêts d'emprunt souverains. En effet, un rapatriement intégral de 200 milliards d'euros apporterait en une fois 120 milliards d'euros dans les caisses de l'Etat compte tenu des années d'impayés, calcule Gabriel Zucman, et "si on allouait cette somme à la réduction de la dette de la France, on pourrait gagner 5 milliards d'euros en intérêts chaque année".
Comment procéder ? En 2005, une directive européenne était censée mettre fin au problème, mais elle ne visait pas les société écrans, utilisées pour 60% des comptes suisses ! Certains gouvernements ont tenté de négocier avec les contribuables concernés des taux attractifs en échange du rapatriement de leurs avoirs à l'intérieur des frontières. Ainsi, en 2009, sous Nicolas Sarkozy, "un contribuable avait la garantie que les intérêts de retard seraient plafonnés et que l'amende pour non-déclaration de compte ne serait pas demandée", décrit Bernard Cazeneuve. Le ministre du Budget n'a pas opté pour une telle "cellule de dégrisement". Sans exclure une négociation sur les pénalités, il affirme que tous les fraudeurs devront s'acquitter de leurs impayés.
1.000 milliards d'euros en Europe
C'est le manque à gagner fiscal annuel en Europe en raison de l'évasion et la fraude. Contre les fraudes des particuliers, la solution est connue : un échange de données entre Etats automatique (comme l'ont négocié les Etats-Unis avec la Suisse et l'Autriche), et non plus à la demande (comme le préconisait encore il y a peu l'OCDE). Problème : l'Autriche, la Suisse et le Luxembourg sont plus réticents à échanger des données avec leurs partenaires européens qu'américains ! "En Suisse, sur les 2.000 milliards d'origines étrangères, plus de la moitié sont détenues par des citoyens de l'Union européenne. L'Autriche, le Luxembourg et autres paradis bancaires siphonnent les bases fiscales de leurs voisins - et partenaires - européens", explique Gabriel Zucman, qui appelle la France et l'Allemagne à les menacer d'exclusion de l'Union durant le sommet mercredi.
Et les entreprises ? La problématique est différente. "Leurs activités internationales sont connues des administrations fiscales", rappelle l'économiste. Et elles utilisent des moyens dont l'illégalité n'est pas nécessairement avérée. Seulement elles parviennent à réduire leur taux d'imposition sous les 5% tout en cumulant des milliards de bénéfices. Loin des 33% en vigueur en France ! Les organisations internationales réfléchissent donc à une redéfinition de certains prélèvements et à une meilleure coordination internationale. La filiale d'Apple qui regroupe les droits propriété intellectuelle en Irlande de l'iPad, l'iPhone et MacBook a déclaré 22 milliards de dollars de bénéfices à sa maison mère, rapporte "Le Monde", et n'a payé que 10 millions d'impôts...
14.000 milliards d'euros dans les paradis fiscaux
Pour l'ONG Oxfam France, 18.500 milliards de dollars sont cachés par des particuliers dans des paradis fiscaux à travers le monde. Quant à la fraude fiscale des entreprises, elle coûterait chaque année pour le seul continent africain 160 milliards de dollars. L'ONG estime que 21 paradis fiscaux sont situés dans l'Union européenne (Luxembourg, Malte, etc.) ou relèvent de sa juridiction (Andorre, Îles Caïmans, etc.) et facilitent la perte de 80 milliards d'euros de recettes fiscales. A comparer aux 60 milliards nécessaires à l'éradication de la pauvreté.