Pour les 10.000 salariés de Renault-Trucks, installés notamment à Bourg-en-Bresse (Ain), à Blainville (Calvados) et à Vénissieux (Rhône), la nouvelle est plutôt rassurante. Comme nombre d’autres, ces salariés vivent avec le couperet de la délocalisation au-dessus de la tête, dans l’attente d’investissements souvent promis mais toujours compromis. Aucun dirigeant du Medef n’a cru bon de saluer l’événement. Les médias ont à peine relaté l’info, comme s’il valait mieux se concentrer sur le énième épisode de la longue marche de Manuel Valls vers le pouvoir suprême.
Pourtant, la relocalisation de Renault-Trucks mérite réflexion. En effet, elle prend à contre pied le discours en vogue sur le sujet. Que nous dit la vulgate dominante à droite, mais aussi parfois au PS, ce qui est bien regrettable ? Que la France est en manque d’ « attractivité », comme on dit chez ces gens-là. Qu’elle est une machine à faire fuir les capitaux. Que le problème numéro 1 du pays s’appelle le « coût du travail ». Que les contributions sociales qui font l’originalité (et la force) du modèle français ne sont que des « charges » à alléger au plus vite. Que le code du travail est digne de la Russie Soviétique. Que les syndicats bloquent tout progrès.
En un mot comme en cent, on ne pourrait plus rien faire dans ce fichu pays pourri par l’esprit des Sans-culotte, de la Commune et de la Résistance. Il faudrait donc aller faire fructifier ses capitaux ailleurs, là où l’Eden de la « mondialisation heureuse » (merci Alain Minc) permet à tout un chacun de s’épanouir sans entrave. C’est ce qu’avait écrit Maurice Taylor, le PDG de l’américain Titan, à Arnaud Montebourg, en traitant au passage les salariés français de fainéants et d’ivrognes.
Ce discours, dépouillé ou non de ses oripeaux les plus caricaturaux, est comme un mantra. On l’entend aussi bien dans les travées du Medef que dans la bouche de Pierre Moscovici. Il a justifié tous les virages successifs du gouvernement Ayrault, qu’il s’agisse de l’accord sur l’emploi, de l’austérité héritée du traité européen, de la non réforme des banques, ou du cadeau accordé au patronat au nom de la « compétitivité ». Il a pour résultat de conférer à la politique économique de l’équipe Ayrault une couleur qui n’est pas sans rappeler celle de l’équipe précédente. Il nourrit une désespérance sociale propre à tous les débordements.
Or le raisonnement est erroné de A jusqu’à Z. Il est faux de dire que le problème de l’économie française est le « coût du travail ». La réalité est inverse. C’est le coût du chômage (donc du non travail) qui pèse, d’autant qu’il est alourdi par celui du capital (dividendes, frais financiers etc… ). Comparé à ses principaux partenaires, la France est à peu près au même niveau de revenus salariaux, sauf à vouloir concurrencer des pays plus pauvres – comme par exemple la Turquie, dans le cas qui nous concerne.
Mais l’exemple de Renault Trucks prouve que même dans ce cas de figure, il est d’autres atouts à mettre en avant, comme le savoir faire de la main-d’oeuvre, la formation, les services publics, les infrastructures, la recherche…Ce sont ces atouts qu’il faut développer pour donner à la marque France un label de qualité, quoi qu’en disent les pleureuses de la famille décliniste. Encore faudrait-il ne pas se laisser piéger par le chantage de la petite école néolibérale qui a gangrené la gauche social-démocrate de l’intérieur. Sinon les imprécations volontaristes d’un Montebourg resteront lettre morte. Dans ce cas, l’affaire Renault Trucks ne sera qu’une hirondelle masquant la réalité d’un exode industriel pernicieux.