• Domination par la dette

    Nicolas Sansu: «La dette est un formidable instrument de domination»

        Propos recueillis par  Bruno Rieth pour Marianne
     
       Le débat sur la dette publique s'invitera à l'assemblée nationale le 7 mai prochain. Le groupe Communistes, Républicains et Citoyens profite de sa niche parlementaire pour "porter le fer" dans l'hémicycle. Un débat essentiel pour Nicolas Sansu, député communiste et membre de la commission des finances. Pour lui, plutôt que de mettre en place des politiques "d'austérité qui creusent la dette", il faudrait mieux l'utiliser pour financer les investissements d'avenir telle que la transition énergétique.
                                 
                             REVELLI-BEAUMONT/SIPA

      Marianne : Vous profitez de la niche parlementaire du groupe Communistes, Républicains et citoyens pour faire trois propositions de lois dont une proposition de résolution européenne qui pose la question de la dette française. Pourquoi avoir choisi de vous attaquer à cette problématique ?
      

      Nicolas SansuParce que nous trouvons qu’au nom de la dette, on nous fait avaler beaucoup de choses.  Au nom de la dette, on nous explique qu’il faut geler le point d’indice des fonctionnaires. Au nom de la dette, il faut aussi diminuer le budget des hôpitaux. Au nom de la dette il faut réduire les services publics et investissements publics locaux par les collectivités locales. Donc au nom de la dette, on nous fait avaler beaucoup, beaucoup de politiques récessives pour ce qui est de la France et des politiques d’austérité dans les autres pays. Donc, c’est une question centrale et fondamentale. On fait comme si la dette était toute puissante. C’est un formidable instrument de domination. L’objectif est donc de porter le fer sur la question de la dette parce que d’abord nous pouvons nous financer autrement que sur les marchés financiers. Ensuite elle peut porter de l’investissement public utile pour la transition écologique. Elle n’est pas forcément synonyme de  gavage des marchés financiers. Donc cette question là, il faut la porter haut et fort. Il existe un mouvement citoyen européen qui se pose la question de la légitimité de la dette, de tout ou une partie. Nous souhaitons que ce débat ait lieu aussi au parlement.

    Selon vous, les politiques d’austérité imposées par l’Union européenne et le FMI n’auraient eu aucun effet sur la réduction de la dette ?
     

       Elles ont même contribué à creuser la dette. Lorsque l’on regarde les pays qui ont été le plus en prise avec ces politiques extrêmement récessives d’austérité, la Grèce bien sûr, l’Espagne, le Portugal, toutes les mesures qui ont été prises ont aggravé la dette. Surtout, elles ont permis de continuer à servir des intérêts financiers, ce n’est plus le cas pour la Grèce maintenant puisque sa dette est détenue par des organismes publics ou des Etats. Mais ces mesures ont fait en sorte que l’on distribue davantage d’intérêts financiers, pour une question de risque soi-disant, et ont permis d’enrichir les plus riches. On le voit, le mécanisme de la dette et des politiques d’austérité sont des instruments complétement fou. Le choix qui a été fait de politiques publiques récessives a eu des effets extrêmement néfastes aussi sur les finances publiques. Lorsque vous regardez l’histoire des dix dernières années, celles et ceux qui ont mis en place ce genre de politique, en Amérique centrale ou en Asie par exemple, n’ont pas réussi à relancer la machine, bien au contraire.

    Comme expliquez-vous cette part aussi importante de la dette dans l’économie française ?

      Depuis les années 80-90, l’Etat se refinance sur les marchés financiers de plus en plus. Il se refinance à des taux d’intérêt bien supérieur à la croissance. Plusieurs rapports ont démontré qu’à la fin des années 90, il y a douze points de PIB qui sont passés à la dette ce qui a permis aux marchés financiers de gagner beaucoup d’argent. Il faut ajouter à ça la baisse des prélèvements des plus aisés, phénomène qui a été impulsé par Reagan et Thatcher avec le « There is no alternative » et le libéralisme triomphant. Toutes ces baisses d’impôts des plus riches ont coûté 20 points de PIB. De Laurent Fabius qui diminue la dernière tranche de l’impôt sur le revenu en 2001, ce n’était jamais arrivé sous la gauche avant et puis le plus gros, la loi TEPA de 2007 avec le bouclier fiscal de Sarkozy. 20 points de PIB et ça, ce n’est pas moi qui le dit mais le député UMP Gilles Carrez, dans un rapport de 2010. En cumulant, il y a plus de 30 points de PIB qui correspondent à 600 milliards sur les 2000 milliards de la dette, qui sont dus à ce double mouvement. C’est ce que des collectifs de citoyens appellent la « dette illégitime ». En clair, il y a eu une bataille idéologique qui a été gagnée. C’est la fameuse phrase du financier Warren Buffet : « La lutte des classes existe, nous l’avons remportée ». Sur les 2 000 milliards, pratiquement un tiers est du à l’effet « boule de neige ». On a tout fait pour favoriser la dette. Et ceux qui ont contribué au gonflement de cette dette ne sont pas aujourd’hui appelés à contribution.

    Vous dites aussi que contrairement à ce que l’on peut entendre, la dette peut-être quelque chose d’utile ?

        Bien sûr. Si vous faites une dette qui sert à engager vraiment la transition écologique vers le transport public, vers les énergies renouvelables, la réhabilitation des habitats pour éviter les déperditions énergétiques. Là, vous avez des emprunts utiles qui permettent des économies de fonctionnement à terme. Des investissements qui permettent de relancer la croissance verte, une croissance plus économe en ressources naturelles et en même temps de relancer l’emploi. Aujourd’hui on s’interdit des politiques publiques offensives qui sont pourtant fondamentales car si nous ne nous engageons pas dans la transition écologique dès aujourd’hui, nos sociétés vont dans quelques temps aller très mal.

    Mais comment s’extirper du mécanisme de financement sur les marchés financiers. Vous parlez par exemple de mobiliser l’épargne des particuliers…
     

       Il faut remettre en circuit du trésor européen. Il y a une vraie question aujourd’hui sur le rôle de la BCE. Actuellement elle joue le rôle de préteur en dernier ressort pour les banques. Mais il faudrait qu’elle se dirige vers le financement d’investissement public utile à l’avenir. Et aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Il y a même des mesures plus radicales aujourd’hui pour sortir de la dette. Si vous regardez les patrimoines à la fois mobiliers et immobiliers  des 1 % les plus riches en France, c’est l’équivalent du PIB français. On pourrait imaginer faire un prélèvement exceptionnel sur les 1 % les plus riches pour diminuer la dette. On pourrait aussi, à l’image de ce qui s’est fait dans d’autres pays et c’est en ce sens que l’on souhaite une conférence européenne, demander un moratoire sur la dette pendant 6 mois, le temps d’évaluer la part de la dette que l’on rembourse et celle que l’on ne rembourse pas. Il y aurait peut-être 10, 15, 20 % que l’on pourrait ne pas avoir à rembourser et qui diminuerait la pression. Mais si on ne pose pas ces questions, ça va craquer ! Il faut absolument se libérer du piège de la dette. Le 7 avril, la Grèce a lancé une commission pour la vérité de la dette sous la houlette de la présidente du parlement grec justement pour poser cette question du moratoire et de l’illégitimité d’une partie de ses créances. Comme l’avait fait en son temps Rafael Correa en Equateur ou dans une autre mesure les islandais en refusant de renflouer les banques islandaises qui avaient participé à la crise financière de 2008. Le débat doit avoir lieu en France mais aussi en Europe.


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