Mais qu’est-ce qui leur a pris ? Ce fut une nuit de folie à l’Assemblée nationale. A minuit, la France était dotée d’une arme anti-paradis fiscaux très attendue et qui recevait son deuxième vote parlementaire positif en 10 jours. A une heure trente du matin, le vote était annulé par une manœuvre indigne du gouvernement. Pour quel enjeu ?
Une étape clé dans la lutte contre les paradis fiscaux
Il y a 10 jours, l’Assemblée nationale votait positivement en faveur d’un amendement demandant aux entreprises de rendre public, une fois par an, dans chaque pays où elles sont implantées, le montant de leur chiffre d’affaires, le nombre de leurs employés, les profits réalisés et les impôts payés.
Pourquoi ces données sont-elles importantes ? Parce que les paradis fiscaux ne sont pas, contrairement à l’imaginaire public traditionnel, des coffres-forts remplis d’argent. Ce sont des territoires dont les gouvernements vendent la souveraineté aux plus puissants en leur proposant d’écrire les lois qui leur conviennent. Ces lois ont un objectif : découpler, artificiellement, l’endroit où se produit une transaction économique (toucher un salaire, des intérêts, des dividendes, un héritage, réaliser un profit, une plus-value…) et l’endroit où elle est juridiquement enregistrée et donc contrôlée et taxée.
La comptabilité pays par pays c'est montrer à tous les turpides fiscales des entreprises
Avec une comptabilité pays par pays, on peut voir si une entreprise réalise du chiffre d’affaires dans un pays mais cumule des profits dans un autre où elle n’a pratiquement pas d’employés, voire d’activité et toutes sortes de bizarreries comptables. C’est une bonne technique pour repérer ceux qui abusent des paradis fiscaux, avant de déterminer comment les sanctionner.
Le G20 a prévu d’obliger les grandes firmes à fournir ces données aux administrations fiscales. Mais à elles seules. Actionnaires, parlementaires, ONG, journalistes, etc., sont exclus de l’information.
Antidémocratique
La nuit dernière, un amendement soutenu par plusieurs députés socialistes et écologistes visant à rendre publiques ces données reçoit de nouveau un vote positif. Comme le racontent les ONG (voir plus bas) qui sont suivi le débat, le gouvernement demande alors une suspension de séance, réveille ses partisans et fait voter à 1 h 30 un nouvel amendement annulant le précédent.
Surtout pas de données publiques sur les turpitudes fiscales de nos grandes entreprises. Une honte. Sur cette page de l’Assemblée (http://www2.assemblee-nationale.fr/scrutins/detail/%28legislature%29/14/%28num%29/1207), vous trouverez les noms des députés présents qui ont permis au gouvernement de réussir sa manœuvre (les votes pour) et ceux des 21 députés de gauche qui ont tenté de sauver l’honneur de leur famille politique.
Une manipulation à 1 h 30 du matin
En 2013, la France avait obligé les banques à fournir ces informations et à les rendre publiques. Le Parlement européen lui avait emboîté le pas et toutes les banques doivent désormais communiquer, à tous, ces informations (une analyse des résultats sera bientôt disponible). L’enjeu était d’étendre cette obligation à toutes les entreprises, au-delà du secteur bancaire.
Cette fois, le gouvernement a suivi le lobbying des grandes entreprises, qui sont vent debout contre la mesure, en refusant la transparence. Avec quel argument ? Regardez la vidéo ci-dessous pour y découvrir l'argument phare de Christian Eckert, notre ministre du budget : « on n'est pas sûr que tout ça tourne bien » (vers 1'). Quand on en arrive à ce degré de pertinence... (Vidéo impossible à trouver)
La France s’enorgueillit d’être un pays moteur dans la lutte contre les paradis fiscaux. Cette nuit, c’était plutôt la France du frein moteur !
Une manœuvre à l’Assemblée nationale fait voler en éclats l’ambition de transparence fiscale des députés
http://www.stopparadisfiscaux.fr/qui-sommes-nous/plateformes-regionales-43/article/reactive-une-manoeuvre-
Mercredi 16 décembre 2015 -–
Le gouvernement a montré un bien triste visage cette nuit à l’Assemblée nationale alors que se tenaient les discussions autour du reporting public pays par pays, une mesure essentielle dans la lutte contre l’évasion fiscale. Après un premier vote de l’Assemblée favorable à la transparence fiscale, le Gouvernement a manœuvré en coulisses, mobilisé des députés au milieu de la nuit pour un nouveau vote qui a finalement rejeté le reporting public pays par pays. Ce coup de force de l’exécutif ralentit dangereusement la lutte contre l’évasion fiscale.
Cette nuit, l’Assemblée nationale a envoyé un signal extrêmement négatif dans la lutte contre l’évasion fiscale. Dans le cadre de la deuxième lecture du PLFR 2015, vers 1h30 du matin, les députés ont finalement rejeté le reporting public pays par pays après l’avoir pourtant adopté deux fois. La première fois il y a 10 jours, dans le cadre de la 1ere lecture du PLFR (voir communiqué de la Plateforme du 4 décembre: http://www.stopparadisfiscaux.fr/que-font-les-etats/la-france/article/lutte-contre-l-evasion-fiscale-l). La seconde, cette nuit à minuit, quand les députés ont voté en scrutin public en faveur de l’amendement concerné à 28 voix contre 24. Mais le gouvernement, défavorable à cette mesure, a demandé une seconde délibération. Au terme d’une suspension de séance qui a duré plus de 40 minutes, et au cours de laquelle le gouvernement a orchestré les conditions d’un nouveau vote en sommant des députés de corriger le tir et en appelant d’autres à la rescousse, il a refait voter l’Assemblée et a finalement obtenu le rejet de cet amendement, à 25 voix contre 21 [1].
Les organisations de la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires, notamment le CCFD-Terre Solidaire, Oxfam France, Peuples Solidaires ActionAid France mais aussi ONE France dénoncent avec la plus grande fermeté ce passage en force. Nos organisations appellent les députés mobilisés contre l’évasion fiscale à poursuivre leur bataille, notamment dans le cadre de la loi Transparence qui sera présentée par Monsieur Sapin en début d’année [2].
Nos organisations rappellent que cette mesure, défendue depuis une dizaine d’années par les organisations de la société civile, aurait obligé les entreprises françaises à rendre publiques des informations sur leurs activités et les impôts qu’elles paient dans tous les territoires où elles sont implantées. Elle aurait ainsi permis à la société civile dans son ensemble de savoir si les impôts payés par les entreprises correspondent à leur activité économique réelle. Sans cette mesure de transparence essentielle pour mettre fin à l’évasion fiscale, les entreprises continueront à construire des montages fiscaux artificiels dans le but d’échapper à l’impôt et donc de priver les pays des recettes fiscales nécessaires au financement de leurs services publics. C’est donc la pauvreté et les inégalités qui vont continuer à croître, notamment dans les pays en développement qui souffrent particulièrement des pratiques d’évasion fiscale des entreprises multinationales.
Contacts presse : CCFD-Terre Solidaire : Karine Appy, 01 44 82 80 67 / 06 66 12 33 02
Oxfam France : Caroline Prak, 06 27 15 80 99
ONE France : Annabel Hervieu, 06 31 22 89 68
Peuples Solidaires ActionAid France : Lison Rehbinder, 06 31 29 11 60
Notes aux rédactions
Le vote portait sur les amendements 48, 11, 55, déposés respectivement par des députés socialistes et écologistes engagés dans la lutte contre l’évasion fiscale comme Pascal Cherki, Eric Alauzet, Dominique Potier, Yann Galut. Il prévoyait que les entreprises multinationales rendent public publique chaque année leur chiffre d’affaires, leurs bénéfices, le nombre de leurs filiales et de leurs employés, et le montant des impôts payés dans chacun des pays dans lesquels elles sont implantées.
[1] Le détail sur le premier vote est disponible ici :
http://www2.assemblee-nationale.fr/scrutins/detail/(legislature)/14/(num)/1206. Le deuxième vote après suspension de séance à la demande du gouvernement portait sur un amendement gouvernemental visant à supprimer l’amendement tout juste voté et le détail des votes se trouve ici :
http://www2.assemblee-nationale.fr/scrutins/detail/%28legislature%29/14/%28num%29/1207
[2] En avril 2013, le Président François Hollande a fait un discours (http://www.elysee.fr/declarations/article/declaration-du-president-de-la-republique-4/) fort en faveur d’une transparence accrue pour les banques mais aussi pour toutes les grandes entreprises multinationales « Les banques françaises devront rendre publique, chaque année, la liste de toutes leurs filiales, partout dans le monde, et pays par pays. Elles devront indiquer la nature de leurs activités. (…) L’ensemble de ces informations seront publiques et à la disposition de tous. Je veux que cette obligation soit également appliquée au niveau de l’Union européenne et, demain, étendue aux grandes entreprises.