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Fidélité à nos principes...
« La capacité à résister à ces agressions dans la fidélité à nos principes est fondamentale »
(Crédit photo : Maya-Anaïs Yataghène - Flickr)Depuis les attentats du 13 novembre, les plus hautes autorités de l'Etat assurent que la France est en guerre et annoncent de nouvelles mesures sécuritaires. La réaction du philosophe Michel Terestchenko.Moins de trois jours après les attentats qui ont frappé Paris et Saint-Denis, le président de la République, François Hollande, a martelé, devant le Congrès réuni à Versailles ce lundi, que la France était « en guerre » et a annoncé un arsenal de mesures sécuritaires. Pour le philosophe Michel Terestchenko, cette situation de crise met à l’épreuve nos fondements démocratiques.
Terra eco : Que vous inspire l’émoi et la sidération qui se sont emparés du pays depuis vendredi soir ?
Michel Terestchenko : L’émoi lié à la férocité de ces attaques est bien sûr légitime. Il n’y a pourtant hélas aucune surprise dans ces événements qui étaient prévisibles. Nous avons plutôt affaire à une répétition d’événements qui ont déjà eu lieu et qui risquent de se succéder.
Depuis plusieurs jours, le terme de « guerre » est employé par les hauts responsables politiques. Que penser de ce vocabulaire ?
Ce vocabulaire belliciste et martial, avec l’idée qu’il faut rendre coup pour coup et mener un combat impitoyable, rappelle dangereusement, sous bien des aspects, un discours que l’on avait entendu aux Etats-Unis au lendemain du 11 Septembre et qui, à l’époque, n’avait pas été accepté par l’Europe. La France avait résisté à cet emballement martial. Aujourd’hui, nous sommes en train de tomber dans ce discours et dans toutes les possibilités qu’il ouvre. Certaines sont peut-être légitimes, d’autres méritent réflexion et d’autres encore sont véritablement problématiques. La guerre, on la mène au Mali, en Irak et maintenant en Syrie. Nous avons déclenché des opérations militaires et nous nous sommes exposés. La question est de savoir si nous nous sommes exposés de la façon qu’il conviendrait, si nous ne nous sommes pas exposés de façon imprudente.
Dans votre ouvrage, L’Ere des ténèbres, vous soutenez l’idée que les attentats sont des mises à l’épreuve de nos démocraties. Quels défis leur imposent-ils ?
C’est en effet la question fondamentale. L’Etat islamique ne menace pas l’intégrité territoriale de la France. Si c’est une guerre donc, ce qui est visé, menacé, ce sont nos valeurs. Ce qui me paraît fondamental, c’est notre capacité à résister à ces agressions d’une violence extrême, dans la fidélité à nos principes fondamentaux et structurants qui sont mis à mal et risquent de vaciller. Il y a une très grande inquiétude à avoir sur notre capacité à défendre les libertés publiques et à ne pas dissoudre le tissu social de notre société pluraliste et multiculturelle. D’une manière générale se pose la question du droit et du cadre juridique dans lequel les politiques publiques vont désormais être mises en œuvre.Dans ce contexte, que doit-on craindre du tournant sécuritaire que le gouvernement semble prendre ?
Il y a bien entendu une nécessité – que personne ne conteste – de garantir autant que possible la sécurité des citoyens. La sécurité est même la première finalité de l’Etat. Mais les politiques sécuritaires doivent être regardées de très près. D’abord, elles ne sont pas nouvelles. Il y a toutes sortes de mesures mises en œuvre à la faveur de lois depuis 2008 : loi contre la récidive, loi sur la rétention de sûreté. Aujourd’hui, certains hommes politiques demandent à placer sous détention des individus qui pourraient être suspectés de vouloir commettre des actes terroristes. Là, les difficultés deviennent très sérieuses : on passerait d’une logique de la culpabilité à une logique de la dangerosité, cette dernière notion étant évidemment floue et élastique. Ce déplacement induirait un contrôle de plus en plus important et généralisé des citoyens et une remise en cause des principes fondamentaux du droit : on ne peut être privé de liberté que sur la base d’une preuve d’un délit ou d’un crime commis, et non pas sur la base de la suspicion ou de la probabilité de commettre un crime. Que l’on surveille ces individus, c’est une chose ; qu’on les mette en détention, c’en est une autre. Ce type de procédures sont, au minimum, extrêmement discutables et il faudrait en tout cas en discuter.
Ces annonces sont faites juste après des événements qui ont plongé la société dans la terreur. Que faire pour que le débat puisse avoir lieu ?
Il faudrait tout de même se donner un peu de temps. Or, nous sommes dans le temps de l’immédiateté. Les choses vont très vite. Sur des questions qui, une fois de plus, ne sont pas nouvelles, il nous faut un débat sérieux, ce qui suppose que l’on dispose d’un minimum d’accès à l’information [sur les événements et les mesures]. C’est l’Etat qui en détient le monopole. Le problème, c’est que si l’on discute de ces politiques publiques, on donne l’impression de faire le lit du terrorisme. C’est le rôle des hommes d’Etat ne pas céder à la peur, à cette demande sociale pressante d’une certaine partie de la population. Car une autre partie demande que l’on réfléchisse, que l’on discute, que nos libertés fondamentales soient protégées, que l’on soit capable de répondre à ce défi terrible, même si c’est, en effet, extrêmement difficile.
Quelques jours après les attentats, on a encore l’impression que la population est unie dans la douleur. Cette unité n’est-elle que de façade ?
L’unanimisme sous le coup de l’émotion ne signifie pas l’unanimité. Conserver l’unité d’une société pluraliste et multiculturelle dans une république laïque, ce qui est le fondement de notre conception du lien social, va être difficile. Il va falloir beaucoup de sobriété, de prudence et d’attention pour éviter les dérives désignant les étrangers et la population de confession musulmane. C’est un état de crise qui met à l’épreuve les principes de notre démocratie. Il va falloir être extrêmement vigilants à l’égard ce qui risque de se développer au sein de la société française, autant que sur les politiques publiques qui vont être mises en œuvre. Malheureusement, la société civile n’a pas beaucoup l’occasion de s’exprimer dans cette affaire. Il y a pourtant un principe constitutif de la démocratie, c’est que les citoyens sont, malgré tout, les auteurs des politiques publiques qui sont menées en leur nom. Si des politiques publiques sont menées au nom de la sécurité, ce qui est légitime, cela ne signifie pas que tous les moyens mis en œuvre doivent être acceptés avec un blanc-seing, et ne fassent pas l’objet de discussions. Je ne parle même pas de savoir ce qui est bien et ce qui est mal, mais fondamentalement de savoir avec quoi est-ce que nous sommes d’accord. Quelles sont les dynamiques de transformations sociales que le terrorisme ouvre, qu’est-ce que nous sommes prêts à accepter et quelle type de société voulons-nous dans cette situation-là ? Nous ne pouvons pas, en tant que citoyens, être dépossédés d’une certaine forme de participation à ces décisions et à ces évolutions.
Concrètement, pour se réapproprier ces questions, que faire ?
Je pense qu’il faut organiser des formes de discussions citoyennes. Il y a un énorme besoin de compréhension. Il faut organiser des débats informés. Il s’agit de ne pas laisser l’Etat décider absolument seul d’orientations qui nous concernent. Finalement, ce sont bien des citoyens français qui ont été assassinés dans les rues de Paris. Ce sont eux, les victimes de ces attentats. Les citoyens ont le droit d’avoir, au minimum, un droit de regard, d’information, de discussion et de proposition, sous une forme qui relèverait non pas de la démocratie participative au sens où chacun exprimerait sa propre opinion, mais d’une mise en place, sur des questions aussi graves et qui engagent aussi fondamentalement nos principes et notre avenir, de modalités qui relèvent de la démocratie délibérative. C’est peut-être idéaliste, ce n’est pas illégitime, ni même irréalisable.
Dernier ouvrage paru : L’Ere des ténèbres (Le Bord de l’eau, 2015)
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