• Incendies dans la région de Tchernobyl

    Incendies dans la région de Tchernobyl : quelles conséquences?

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    Source : Émilie Massemin pour Reporterre

    Photos :
    . chapô : incendie à une trentaine de kilomètres de la zone d’exclusion de Tchernobyl, en Ukraine, le 10 avril 2020. © Volodymyr Shuvayev / AFP
    . carte : Fire Information for Resource Management System

      Les feux qui ont dévasté la zone interdite de Tchernobyl sont sous contrôle, selon les autorités ukrainiennes. Mais des incertitudes demeurent sur l’étendue des dégâts, notamment au niveau des entreposages de déchets radioactifs. Les associations s’inquiètent rs habitants, notamment les enfants.   Trente-quatre ans presque jour pour jour après l’accident de Tchernobyl, est-on en train de vivre une nouvelle catastrophe nucléaire ? Depuis dix jours, plusieurs incendies, les pires qu’ait jamais connus l’Ukraine sur ce territoire, selon Greenpeace Russie, dévastent la zone interdite — dite « zone d’exclusion » — de trente kilomètres de rayon autour du réacteur accidenté, qui explosa le 26 avril 1986. Plus de 400 secouristes et pompiers, ainsi que trois avions et trois hélicoptères, sont intervenus pour éteindre les feux.

    Mardi 14 avril, le service pour les situations d’urgence ukrainien assurait qu’il n’y avait plus de « feu ouvert », seulement des « foyers isolés » et des « feux couvants ». Il faudra encore plusieurs jours avant d’éteindre ces derniers points chauds, a assuré la présidence ukrainienne dans un communiqué. La pluie, qui s’est mise à tomber mardi 14 avril sur la zone, devrait y contribuer. Reporterre revient sur les principaux enjeux entourant ces incendies.

      Le sarcophage du réacteur accidenté et les installations nucléaires de la zone sont-elles menacées ?

       Une chose est sûre, les flammes se sont approchées au plus près du cœur de la zone interdite — la centrale accidentée et les installations stratégiques qui l’entourent. Jeudi 9 avril, les autorités ukrainiennes l’ont indiqué elles-mêmes : « Les incendies à grande échelle peuvent menacer la sécurité environnementale dans la région ainsi que les installations situées dans la zone d’exclusion où sont stockés les déchets radioactifs, le combustible nucléaire irradié et la centrale nucléaire de Tchernobyl. »

       « Lundi 13 avril à midi, la superficie du plus grand incendie, qui a débuté le vendredi 3 avril à cinquante kilomètres de la centrale de Tchernobyl, avait brûlé 34.400 hectares. Le deuxième incendie, qui s’est déclaré le mercredi 8 avril à cinq kilomètres de la centrale, avait détruit 12.600 hectares. Il a enjambé la rivière Pripiat, qui fait 200 mètres de large, et s’est approché à un kilomètre du sarcophage », a écrit à Reporterre Rashid Alimov, expert nucléaire à Greenpeace Russie. La vue aérienne de l’incendie, disponible sur le site Firms de la Nasa, montre que les feux se sont approchés très près du dôme métallique de 25.000 tonnes achevé fin 2016 et censé contenir la radioactivité du cœur fondu du réacteur pendant un siècle.

     

    Localisation des feux dans les environs de lacentralenucléaire de Tchernobyl (en jaune, le sarcophage), le 14 avril à 16 heures temps universel.
       On y voit aussi qu’il s’agit d’une zone largement

    déboisée, moins propice à la propagation des flammes. « La zone située autour du sarcophage est défrichée et les installations sont robustes du point de vue du génie civil », confirme à Reporterre l’adjoint au directeur de l’environnement de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), Marc Gleizes. La Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad), dans un communiqué diffusé mardi 14 avril, se montre moins optimiste : « Les textes mettaient en avant [la] capacité [du dôme] à résister à des températures allant de - 43 °C à + 45 °C. (…) C’est complètement dérisoire en regard des températures associées à des flammes. Dans une déclaration du 11 avril au New York Times, Kateryna Pavlova, chef par intérim de l’agence gouvernementale qui administre la zone d’exclusion, indiquait que les équipes avaient “travaillé toute la nuit à creuser des pare-feu autour de l’usine pour la protéger du feu”. »

      « Les incendies pourraient aussi avoir des effets sur les installations électriques, par exemple de refroidissement des quelque 20.000 assemblages de combustibles usés des réacteurs 1, 2 et 3, qui étaient conservés en piscine et dont on ne sait pas s’ils ont tous été transférés dans un nouveau dispositif de stockage à sec », redoute Bruno Chareyron, directeur de la Criirad, contacté par Reporterre.

      Les installations voisines inquiètent également les observateurs, et notamment les lieux de stockage et d’entreposage des déchets radioactifs. « Il existe dans la forêt des dépôts de déchets radioactifs laissés là à la hâte après l’accident, par exemple dans des tranchées sauvages, décrit M. Gleizes. Elles sont souvent recouvertes de sable, de béton ou couvertes d’eau, ce qui devrait permettre de contenir la radioactivité. » Yves Lenoir, président de l’association Enfants de Tchernobyl Belarus, contacté par Reporterre, partage cette préoccupation : « Près du dôme se trouvent plusieurs sites d’entreposage de déchets dont un où sont entassées des millions de tonnes de matériel ayant servi à la réalisation du sarcophage : hélicoptères, grues, chars, etc. Il est complètement déboisé et, s’il est touché par l’incendie, ne devrait être affecté que de manière marginale, mais les matériaux qu’il abrite ont été au plus près du cœur extrêmement radioactif du réacteur et contiennent donc dans leur cambouis des radionucléides pas très sympathiques — plutonium, américium, etc. — qu’il vaudrait mieux éviter de trouver dans la nature. D’autres dépôts se trouvent dans des clairières qui pourraient être contiguës à des foyers d’incendie. » D’après la Criirad, des milliers de tranchées contenant des déchets radioactifs auraient été répertoriées dans la zone. « Ce qui est sûr, c’est que la question de la sûreté se pose, même s’il faudrait avoir une connaissance très précise de toutes les installations et de tous les lieux d’entreposage et de stockage pour pouvoir y répondre », conclut M. Chareyron.

      Existe-t-il un risque de contamination radioactive des populations ?

      Plus que le dôme ou les entreposages de déchets radioactifs, ce sont les arbres et les feuilles mortes accumulées au sol qui représentent le plus gros risque de contamination : en brûlant, ils relâchent dans l’atmosphère les éléments radioactifs qu’ils contiennent. « Le problème des grands incendies est récurrent depuis 1992. Dans les forêts contaminées au césium 137 et au strontium 90 de la zone d’exclusion, les micro-organismes sont moins nombreux et moins actifs et la litière végétale de feuilles mortes ne se décompose pas ou peu. Elle peut atteindre un mètre de hauteur à certains points chauds ! Les arbres souffrent aussi de cette absence de micro-organismes et se dessèchent plus facilement. Le tout forme un milieu explosif, qui prend feu pour un rien quand il fait chaud et sec, décrit M. Lenoir. Et, quand l’incendie démarre, les éléments radioactifs contenus dans les écorces, les feuilles et les aubiers — les premières parties de l’arbre à brûler — sont relâchés dans l’atmosphère et transportés au gré des vents. » « La radioactivité remise en suspension dans l’air lors d’un incendie provient à 90 % de la litière », confirme M. Gleizes. Des mesures ont bien été prises dans la zone interdite pour limiter la fréquence et l’ampleur de ces incendies, comme des coupes rases dans la forêt et l’installation d’un incinérateur spécial équipé de filtres pour le bois qui en est issu, mais elles ne suffisent visiblement pas à contrer les effets ravageurs des sécheresses et des fortes chaleurs liées aux changements climatiques.

      En première ligne du risque d’irradiation externe ou de contamination interne par inhalation de radionucléides, les pompiers qui luttent contre ces feux radioactifs. Les mesures et les calculs réalisés ces derniers jours par l’IRSN restent toutefois relativement rassurants. « Il est difficile de disposer des mesures faites sur place et de savoir quelle quantité de bois a brûlé, mais d’après nos calculs, réalisés avec des hypothèses majorantes, des pompiers qui resteraient cent heures sur place recevraient une dose de radioactivité d’un microsievert. C’est mille fois inférieur à la dose annuelle maximale autorisée pour le public en France », dit M. Gleizes. M. Chareyron, lui, est plus mesuré. D’après la Criirad, les niveaux de radiation à un mètre au-dessus du sol mesurés ces derniers jours dans les zones incendiées par l’agence ukrainienne qui gère la zone d’exclusion sont 16 fois supérieurs à la normale, mais la contamination n’est pas homogène et la radioactivité explose à certains endroits. « Lors de mesures réalisées en 2000 dans cette zone, la Criirad a découvert par hasard un niveau de radioactivité entraînant une dose de 247 microsieverts par heure. Un pompier posté là pourrait dépasser la dose annuelle maximale en quatre heures ! »

       Une fois les feux éteints, les éléments radioactifs, charriés par les vents, poursuivent leur route et peuvent contaminer de nouveaux territoires. C’est ce que l’IRSN, organisé en cellule de crise depuis le 7 avril, essaie d’anticiper en scrutant les bulletins météorologiques, en modélisant la circulation des masses d’air et en accumulant les mesures. Pour l’heure, le bilan, forcément incomplet, n’est pas trop mauvais. « Nous nous sommes intéressés à la situation sur place, à Kiev, qui s’est retrouvée sous la trajectoire du panache et où vivent des expatriés français, et en France, explique M. Gleizes. À Kiev, d’après nos modélisations, la concentration de césium 137 mesurée dans l’atmosphère devrait s’élever à 1,2 millibecquerel par mètre cube, ce qui est extrêmement faible. Ce niveau n’est même pas confirmé par les mesures réalisées sur place par la balise de l’IRSN installée sur l’ambassade de France à Kiev, qui montrent des taux encore plus faibles. » D’après une note d’information de l’IRSN diffusée le 7 avril et consultée par Reporterre, les masses d’air potentiellement contaminées en provenance d’Ukraine devaient atteindre l’est de la France le 7 avril dernier. « Il peut y avoir des traces en France. Nous attendons les analyses en urgence des filtres installés dans nos stations de prélèvement d’aérosol encore en fonctionnement malgré le confinement ; elles devraient arriver en fin de semaine ou en début de semaine prochaine. »

      Mais c’est surtout pour les territoires les plus proches de la zone d’exclusion, paupérisés et déjà partiellement contaminés à la suite de l’accident de Tchernobyl, que les associations locales se montrent les plus inquiètes. « Après avoir soufflé en direction de Kiev, le vent a tourné et s’est dirigé vers le nord et la frontière avec le Belarus. C’est une zone qui risque d’être très affectée parce qu’elle est située non loin des foyers d’incendie et que la population, très pauvre, est déjà en très mauvaise santé à cause d’une contamination chronique par l’alimentation, parce qu’ils mangent des baies et des champignons bourrés de césium 137 ainsi que des légumes de potagers contaminés. 300.000 enfants vivent en zone contaminée au Belarus. C’est sur leur situation que les médias devraient alerter, plutôt que sur la situation à Kiev ou sur les risques encourus par le sarcophage », s’inquiète M. Lenoir, dont l’association travaille en partenariat avec l’institut de radioprotection indépendant Belrad de Minsk, capitale de la Biélorussie (ou Belarus). « Des maisons sont en feu dans les villages du district de Polessky. De la fumée radioactive caustique affecte les adultes et les enfants de tous les villages du district de Polessky, en particulier Rakovka, Lugoviki, Radynka, Marianovka, Maksimovichi, Markovka. Le village de Wilcza a été complètement brûlé. De nombreux habitants peuvent se retrouver sans logement, sans vêtement et sans nourriture et ils ne disposent d’aucun équipement de protection, a pour sa part alerté le professeur Youri Bandajevsky, qui étudie depuis de nombreuses années les effets d’une contamination radioactive chronique sur les habitants d’Ivankiv, à une cinquantaine de kilomètres du réacteur accidenté. Les éléments radioactifs contenus dans les fumées ont des effets délétères sur les gens, en particulier chez les enfants. L’aide ne peut attendre : il y a environ 600 enfants dans la zone sinistrée qui ont vraiment besoin de votre aide ! »

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