• Interview de Xavier Ragot

     Xavier Ragot : « Nous sommes entrés dans la post-mondialisation »

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    17/02/2017
    Xavier Ragot Président de l'OFCE et chercheur au CNRS

    L’arrivée à la tête des Etats-Unis d’un président prônant un protectionnisme dur est bien dans l’air du temps : celui d’un tassement des échanges mondiaux.

       L’arrivée au pouvoir de Donald Trump suscite bien des inquiétudes. Peut-il tenir son pari « libéral-protectionniste » et quelles en seraient les conséquences ?

    Xavier Ragot : Donald Trump entend mener une politique protectionniste doublée d’une relance keynésienne qui repose sur un plan de 1 000 milliards de dollars d’investissements dans les infrastructures et sur des baisses d’impôts massives. Pour ces raisons, je le qualifierai davantage de « national-keynésien ». Bien que l’effet relance de la consommation soit amoindri par la concentration des baisses d’impôts sur les plus riches, il est ainsi possible d’anticiper une reprise de l’activité dans les années à venir, une réduction du sous-emploi et une hausse de l’inflation. Selon la manière dont elle sera mise en oeuvre, la politique économique de Donald Trump pourrait donc avoir des effets bénéfiques à court terme. Sur le moyen et long terme, c’est une autre affaire.

    En effet, de nombreuses incertitudes subsistent. Outre la question de savoir jusqu’où le Congrès validera les mesures annoncées par le nouveau Président, sa politique de relance pose la question de l’aggravation de la dette publique. De façon assez paradoxale, le protectionnisme commercial voulu par Trump a besoin d’une ouverture aux capitaux internationaux pour financer la dette américaine au meilleur coût. Et il est impossible de prévoir quelle sera la réaction de la Réserve fédérale américaine à une hausse de l’inflation, laissant planer une menace de déséquilibre du système monétaire international.

    Quels impacts de ce virage ailleurs dans le monde ?

    Pour ce qui est des conséquences de la politique de Trump sur le reste du monde, il me semble qu’il ne faut pas les surestimer. Nous sommes déjà objectivement entrés dans une phase post-mondialisation, avec un ralentissement net du commerce mondial, dû en grande partie au fait que la Chine produit moins pour l’étranger et davantage pour elle-même. Il y a donc fort à penser que les récentes relocalisations d’emplois sur le sol américain (Ford, General Motors) ne sont pas le pur effet des annonces de Donald Trump, mais qu’elles sont fortement liées à un phénomène sous-jacent de démondialisation.

    Cependant, l’accompagnement de ces relocalisations par la nouvelle présidence pourrait entraîner leur médiatisation croissante, avec une montée des tensions diplomatiques et des pressions sur les multinationales. A mon sens, Donald Trump ne sera un acteur majeur de la démondialisation que s’il parvient à mettre en oeuvre sa réforme fiscale, d’une ampleur sans précédent : elle prévoit de ramener de 35 % à 15 % le taux de l’impôt sur les sociétés. Dans le cas contraire, son protectionnisme aura un effet très limité sur le reste du monde.

    Y compris pour la Chine et l’Europe ?

    Je crois aux capacités d’adaptation de la Chine. Elle a en effet géré la crise de 2008 et ses déséquilibres internes par une relance keynésienne sous forme de projets d’investissement massifs. Certes, il existe en Chine beaucoup d’entreprises « zombies », techniquement en faillite mais soutenues par le système bancaire, lui-même soutenu par l’Etat. Mais pour contrer cette accumulation massive de capital, source de déflation, Pékin cherche désormais à redonner du pouvoir d’achat aux ménages, afin de rééquilibrer le secteur des biens de consommation par rapport aux biens d’investissement. Je ne crois pas à l’implosion annoncée du système bancaire chinois, notamment parce que la dette du pays reste raisonnable et qu’elle peut être socialisée si nécessaire.

       « L’anticipation d’une hausse des taux d’intérêt dans la zone euro ne me semble pas justifiée »

    Du côté européen, il est peu probable que l’inflation et un resserrement de la politique monétaire aux Etats-Unis changent mécaniquement l’orientation accommodante de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). L’anticipation d’une hausse des taux d’intérêt dans la zone euro ne me semble pas justifiée car il existe un certain découplage entre l’activité des deux zones. La hausse éventuelle des taux d’intérêt en Europe serait bien davantage liée à des tensions internes dans la zone euro, notamment aux pressions allemandes sur la BCE pour les relever.

    Concernant l’Europe justement, le choc du Brexit peut-il relancer sa construction politique ?

    Rien n’est moins sûr. Les débats entre Européens n’ont abouti à ce jour à aucun projet concret. Tant qu’il existera des divergences de vues entre Angela Merkel et son ministre des Finances, Wolfgang Schaüble, sur la pérennité des frontières de la zone euro - et la participation de la Grèce -, il sera impossible d’aller vers plus d’intégration politique. En particulier de concrétiser les projets d’Union bancaire et de garantie des dépôts. L’idée d’un grand bond en avant de la zone euro n’a pas de réalité politique.

    Ce qui ne signifie pas que l’on ne puisse rien faire. Dans certains domaines, on peut envisager des avancées qui vont dans le sens d’une politisation souhaitable du projet européen. Les négociations autour d’une assurance chômage européenne ou d’une convergence des taux d’impôt sur les sociétés sont des signaux positifs. Face à Trump, les pays européens vont avoir intérêt à consolider leurs points d’accord, notamment sur les enjeux climatiques. Alors que le président américain fait de l’obstruction dans ce domaine, on peut envisager la mise en place d’initiatives européennes, notamment un renforcement du plan Juncker pour financer la transition énergétique.

    En France, la politique de l’offre menée par François Hollande a été largement critiquée. Pourrait-elle porter ses fruits à long terme ?

    La réponse est probablement oui. Il y avait en France un problème majeur de compétitivité du secteur exposé à la concurrence internationale dans l’industrie. En quelques années, le taux de marge de l’industrie est passé d’un niveau bas à un niveau très élevé, certes en raison de la baisse du prix du pétrole et de la dépréciation de l’euro, mais également grâce au crédit d’impôt compétitivité emploi (Cice) et au pacte de responsabilité. Le reproche que l’on peut adresser à François Hollande, c’est d’avoir mené cette politique de l’offre conjointement à une politique d’austérité budgétaire alors que les entreprises avaient besoin d’une relance de la demande pour dynamiser leurs carnets de commandes. Mais il est vrai que vis-à-vis de ses partenaires européens, la partie aurait été compliquée.

    « Le reproche que l’on peut adresser à François Hollande, c’est d’avoir mené sa politique de l’offre conjointement à une politique d’austérité budgétaire »

    Aujourd’hui, la croissance reste faible (environ 1,1 % en 2016 selon la dernière estimation de l’Insee), mais elle est néanmoins supérieure à ce que l’on pouvait espérer il y a un an. Nous entrons dans une phase de stabilisation et une dynamique bien réelle de reprise de l’investissement. Les effets des mesures radicales décidées par François Hollande se font donc sentir, mais tardivement du fait des choix de politique budgétaire, même si ceux-ci ont été réajustés en fin de mandat. Ce regain de croissance est fragile et il pourrait être mis à mal par un retour de l’austérité.

    L’idée d’un revenu universel, portée par Benoît Hamon, a récemment émergé dans le débat public. Est-ce la bonne mesure pour contrer la pauvreté ?

    Le revenu universel a le mérite de mettre de nombreuses questions en débat, mais il faut se méfier de cet engouement. Certains y voient un remède à tous les maux de notre société. C’est illusoire. Tout comme est contestable l’idée que c’est la réponse à la raréfaction du travail induite par le numérique et les robots. Les nouvelles technologies bouleversent, il est vrai, notre façon de travailler, mais il me semble court de les accuser de détruire l’emploi. Le problème du chômage en France est bien davantage lié au manque de coordination des politiques économiques dans la zone euro.

    Le revenu universel me semble en fin de compte être un moyen détourné de parler de deux questions essentielles : d’une part, la simplification de notre système fiscal - d’ores et déjà posée par le projet de fusion entre la CSG et l’impôt sur le revenu ou la mise en place du prélèvement à la source - et, d’autre part, l’amélioration du système d’aides aux plus démunis, qui reste trop complexe et mal ciblé.

     

    Propos recueillis par Antoine de Ravignan, Guillaume Duval et Aude Martin

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