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L'écologie des autres (Philippe DESCOLA)
2011 110 p. 8,60 €
Depuis la fin du XIXe siècle, l'anthropologie qui étudie l'unité de l'humanité dans la diversité de ses manifestations n'échappe pas au partage entre nature et culture. Elle est scindée entre une anthropologie physique qui établit l'unité par-delà les variations et une anthropologie culturelle ou sociale qui fait état des variations sur fond d'unité. Mais l'anthropologie culturelle est elle-même divisée entre deux explications : celle qui considère les diversités culturelles comme autant de réponses adaptatives aux contraintes du milieu naturel et celle qui insiste sur le traitement symbolique d'éléments naturels choisis dans le milieu environnant. Selon Philippe Descola, c'est en se libérant du dualisme et en recomposant une écologie des relations entre humains et non-humains que l'anthropologie, acceptant de renoncer à son anthropocentrisme, pourra sortir des débats entre déterminismes naturels et déterminismes culturels.
Après des études de philosophie, Philippe Descola s'est orienté vers l'ethnologie américaniste. Il étudie les relations à l'environnement des Achuar de haute Amazonie. Parallèlement, il se consacre à l'étude anthropologique des relations entre humains et non-humains. En 1996, ses travaux sont récompensés par une médaille d'argent du CNRS. Il mène toute sa carrière à l'Ecole des hautes études en sciences sociales avant d'être nommé, en 2000, professeur au Collège de France dans la chaire d'anthropologie de la nature ; il y dirige le laboratoire d'anthropologie sociale.
En décembre 2012, Philippe Descola s'est vu attribuer l'une des consécrations les plus significatives du milieu scientifique français : la médaille d'or du CNRS. Ce prix qu'on lui décerne, Ph. Descola le doit à un ensemble de recherches d'une visée extrêmement audacieuse. La théorie de l'anthropologue pourrait aboutir ni plus ni moins qu'à un bouleversement complet du paradigme même de l'ethnologie : l'anthropocentrisme1.
2L'ouvrage dont il est question ici est le fruit d'un cycle de conférences-débats organisé par Sciences en questions et l'INRA, en 2007 et 2008. Il est structuré en deux parties, la première reprenant l'intervention de Ph. Descola au cours de sa conférence, la seconde présentant la discussion qui s'ensuivit. L'objet du texte est de démontrer la prégnance de l'ontologie naturaliste, autrement dit d'une vision du monde qui oppose les concepts de nature et de culture, dans la constitution de la science. Cette ontologie, propre aux sociétés occidentales et que l'auteur nomme « naturalisme », est un système cognitif d'organisation du monde, l'une de ses conséquences étant que la réflexion scientifique se fasse au travers d'une pensée dualiste. Cet essai s'inscrit donc dans le domaine des science studies. Sorte de condensé de la pensée de l'ethnologue, il est à mon sens recommandé d'avoir une certaine connaissance de son œuvre, et notamment de son ouvrage majeur : Par delà nature et culture pour saisir pleinement les propos développés dans L'écologie des autres. Si dans cet ouvrage majeur de 2005 l'accent était mis sur les cosmologies des autres groupes humains, le livre dont fait l'objet cette recension s'attarde quant à lui sur l'écologie des autres anthropologues. Pour quiconque souhaite disposer d'un panorama du traitement de la question de la nature en anthropologie, la lecture de cet ouvrage est conseillée.
3La principale thèse défendue ici est que la pensée dualiste occidentale opposant la nature aux cultures marque profondément l'ensemble des sciences modernes occidentales. Plus que cela même, le dualisme nous est présenté comme une condition nécessaire à l'apparition de la pensée scientifique moderne. La plus large partie du texte s'attache à démontrer que l'ensemble de la théorisation et de la praxis scientifiques sont organisées autour d'une opposition entre le naturel et le culturel. D'abord par une segmentation très explicite entre sciences de la nature et sciences de la culture, la délimitation entre ces deux champs s'établissant aussi bien du point de vue des méthodologies que de l'organisation institutionnelle de la recherche; ensuite au sein de l'anthropologie, par un éloignement progressif entre anthropologie sociale et anthropologie physique, dès la fin du XIXème siècle.
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9La suite du livre s'attache à rendre compte de deux tentatives de dépassement du dualisme nature/culture. La première se trouve dans l'approche phénoménologique développée par Maurice Merleau-Ponty. On y retrouve Tim Ingold, qui ne ferait que renverser le biais, en octroyant aux ethnies caractérisées par une ontologie moniste le monopole de la vérité et de la sagesse. Outre cet ethnocentrisme inversé, la phénoménologie semble pêcher lorsqu'il s'agit de généraliser ses observations. À l'opposé, on retrouve les fondateurs de la sociologie symétrique : David Bloor, Michel Callon ou encore Bruno Latour. Ici la prétention à l'universalisme des théories semble nuire à une analyse fine des disparités locales.
10La dernière étape de la démonstration de Ph. Descola est enfin l'occasion pour celui-ci de présenter la démarche qu'il préconise, d'une façon somme toute assez sommaire. Plus qu'une méthodologie développée, il s'agit plutôt de pistes devant permettre à l'anthropologue de ne pas se laisser piéger par la force de l'ontologie naturaliste, en lui attribuant un caractère universel. Le premier pas à faire doit permettre de dépasser l'opposition entre universalisme et relativisme. Pour ce faire, Ph. Descola prône un « universalisme relatif »5, le dernier terme étant ici entendu comme relationnel. Il apparaît que la force de l'opposition entre « universel » et « relatif » au cœur de l'anthropologie entretient la toute-puissance de l'ontologie naturaliste, qui découpe le monde en une nature universelle et des cultures relatives. Il faut donc s'orienter vers une méthodologie attentive aux « relations de continuités et de discontinuités »6 établies par les différents groupes humains. Selon l'auteur, l'universalité ne réside nullement dans l'autonomisation du naturel, mais dans la « mondiation », le processus de « stabilisation dans des cadres de pensée et d'action de notre pratique du monde [… qui] se fonde au premier chef sur notre capacité à déceler des qualités dans les existants et à inférer en conséquence les liens que ces derniers sont susceptibles d'entretenir et les actions dont ils sont capables. » (p. 76).
11En attribuant une position centrale à l'homme, les éléments lui étant extérieurs deviennent alors une « totalité complète et autonome en attente d'être représentée et expliquée selon différents points de vue. » (p. 76). Se placer dans cette perspective anthropocentrée revient donc à établir la distinction entre nature et hommes en vérité universelle. L'anthropocentrisme doit ainsi être dépassé pour parvenir à une connaissance plus aboutie et neutre d'un point de vue culturel.
12Finalement, l'anthropologue accorde une grande force explicative au raisonnement par opposition, en analysant l'émergence et l'organisation des sciences humaines sur le mode d'une pensée dualiste et dualisée, certes convaincante, mais probablement réductrice. [......]
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