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La bataille des mondes (Roger MARTELLI)
2013 211 p. 16 €
La mondialisation fait peur et elle attire en même temps. Mais avons-nous la pensée qui nous permet de faire face à l'incertitude de notre temps ? Le parti pris de ce livre est de dire qu'il faut, tout à la fois, ne pas craindre de se projeter dans l'avenir et renoncer aux pensées trop binaires. Fédéralisme et souverainisme, mondialisation et démondialisation... Il ne sert à rien de penser en blocs statiques, quand tout est contradiction. L'interdépendance du développement humain se joue désormais à des échelles ouvertement supranationales. Mais la politisation continue de se nouer dans le cadre plus ancien des nations. La mondialisation repose sur l'exaltation de la concurrence et sur l'apologie de la gouvernance. Poursuivre cette mondialisation-là est impensable, mais à quoi bon "démondialiser" si les logiques sous-jacentes restent les mêmes ? Ce livre propose donc de penser autrement la "mondialité" du destin des hommes. A toutes les échelles... De la cave au grenier ; du local à la planète.
Roger Martelli (1950) professeur d'histoire, essayiste, est co-directeur de la rédaction de la revue Regards et co-préside la Fondation Copernic. Il est une figure intellectuelle de la gauche communiste et radicale.
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Les bons livres de réflexion sur la mondialisation ne sont pas légion. L'historien Roger Martelli nous en offre un, intellectuellement très stimulant, à l'écriture sans détour et qui ne manque pas de style. La mondialisation actuelle ne lui convient pas. Son modèle économique est celui de la croissance infinie, de la marchandisation de tout et du profit financier. Son modèle social, la concurrence de tous contre tous, et son mode de décision, la bonne gouvernance des experts. Intrinsèquement porteur d'inégalités, le capitalisme mondialisé sépare : les inégalités internes aux pays se creusent, "avoirs, pouvoirs et savoirs sont plus concentrés que jamais" dans quelques pôles de richesse.
Mais dans le même temps, de nombreux problèmes politiques clés ont pris une dimension internationale : la dégradation de l'environnement, l'accès à l'eau, à la nourriture, les pandémies, les migrations, pour lesquels les réponses ne peuvent pas être locales. On ne peut nier la mondialisation. "Seulement, voilà : pour l'instant, il n'y a pas de lieu pertinent où la communauté de destin d'ores et déjà installée des hommes pourrait se transformer en communauté politique." Alors que faire ?
Antagonisme Certains rêvent d'une gouvernance mondiale. Les règles qui en sortent sont produites par une nébuleuse de pouvoirs entre acteurs publics et privés, où priment les contraintes censées être indépassables de l'économie de marché. D'autres prônent un repli national. Fausse piste, analyse Martelli, l'Etat-nation est une réalité indépassable - l'auteur a de belles pages d'analyse sur le sujet -, mais il peine à assumer son rôle protecteur. Surtout, rejeter la mondialisation par la promotion de l'identité nationale enferme dans un monde étroit. La place des individus dans le monde se pense mieux au travers de leurs processus d'identification, qui sont complexes, multiples et émancipateurs.
L'Europe pourrait-elle être un lieu d'identification ? Elle est aujourd'hui un espace civique indéterminé. Davantage de fédéralisme risque d'accroître l'opposition entre une élite technocratique et des peuples ciblés par les mouvements populistes. Davantage de coopération interétatique sous-estime le poids de la nécessité de réponses supranationales à la mondialisation. Pourtant, le livre appelle à renforcer l'espace européen devenu une réalité familière. Mais par le bas, avec plus de pouvoir à la souveraineté populaire (le livre offre aussi une réflexion sur la démocratie dans un contexte de mondialisation).
Mondialité Au final, Roger Martelli voudrait passer de la mondialisation économique à la "mondialité" du poète Edouard Glissant, celle de la nature conçue comme patrimoine commun, de l'implication citoyenne, de la coopération. Des forces politiques portent ce projet, du syndicalisme aux altermondialistes et d'autres, mais rien ne les unifie.
Est-ce pour cela que l'auteur appelle à la révolution mondiale ? Normal, direz-vous, pour un intellectuel issu de la gauche communiste et radicale… Sauf que chez lui, rupture et réforme vont de pair. Du passé, on ne fait pas table rase. Il faut, dans le même mouvement, réformer les normes existantes, les infléchir en rééquilibrant le public et le privé, tout en s'attachant à inventer des formes nouvelles de production et de circulation des richesses socialement utiles. Il y faudra du temps ? Sûrement. Mais "la patience est une vertu ; ce n'est pas le cas du renoncement à agir"
Christian Chavagneux
Alternatives Economiques n° 330 - décembre 2013
Tags : mondialisation, martelli, roger, livre, mondialite
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