• La dindification (commentaire )

       Montesquieu, déjà en 1748, dans un chapitre éclairant intitulé « De la dette publique » tiré de son livre « De l’esprit des lois », mentionnait ceci : On « ôte les revenus véritables de l’État à ceux qui ont de l’activité et de l’industrie, pour les transporter aux gens oisifs ; c’est-à-dire qu’on donne des commodités pour travailler à ceux qui ne travaillent point, et des difficultés  pour travailler à ceux qui travaillent. »

    Plus de deux siècles et demi plus tard, nous sommes encore face à la même situation. Dans le sauvetage des grandes sociétés de Wall Street, nos gouvernements ont généreusement donné à ceux qui ne travaillent point (Wall Street) pour créer de plus en plus de troubles à ceux qui travaillent (la classe moyenne). Chose assurée, la classe moyenne n’a pas le moindre avantage sur ces puissants créanciers que nous finançons pourtant.

    La prochaine étape, logique et conséquente de la précédente, sera de réduire radicalement les programmes sociaux pour financer banquiers et spéculateurs lorsque la prochaine crise se présentera. Justement, à cet égard, le Royaume-Uni et l’Irlande commencent à comprendre de quoi il retourne : on fait des coupes sombres dans les programmes sociaux pour rembourser la dette publique, alors que la prochaine crise n’a même pas encore frappé. Et on s’étonne ensuite de voir le secteur privé envahir le domaine de la santé. 

    Et la dinde est heureuse, car elle peut continuer à consommer comme auparavant ! La dinde ne se doute jamais que le mille et unième jour elle se fera trancher la tête, car chaque jour qui passe lui confirme avec de plus en plus d’évidences que demain sera la réplique d’hier ou d’aujourd’hui. Qui veut entendre parler de la dette publique ? Surtout pas la dinde, car elle désire plutôt qu’on la gave de formules prêt-à-penser en lui disant que tout va comme dans le meilleur des mondes !

        Courbe de dindification

    17 mars 2011 Pierre Fraser 

    Suite à la multitude d’entrevues que j’ai réalisées auprès des médias, j’ai reçu plusieurs courriels pour que j’explique la courbe de dindification. Le lecteur comprendra qu’il s’agit que d’un résumé d’un livre beaucoup plus complet qui explique le phénomène des tendances qui sortira à la fin mars 2011 et intitulé « Théorie des tendances – Le mutisme du futur ».

    Ce qu’il faut tout d’abord comprendre, c’est que la dindification est essentiellement un processus d’euphorisation des foules. Observez attentivement cette courbe.

    Voyons maintenant comment ce processus se déroule :

    1.         Initiateurs. A) Quelqu’un lance une idée ou un concept. B) Il peut s’agir d’une nouvelle tendance qui vient d’émerger d’une tendance qui s’est effritée ou effondrée.

    2.         Branchés. Au tout début, ce sont les gens qui sont toujours attirés par la nouveauté qui décident ou non d’adopter l’idée. Ce sont les « branchés ». En marketing, on parle des « early adopters » S’ils « achètent » l’idée, ils commencerent à la diffuser par le truchement de différents canaux.

    3.         Première contamination. Si les branchés ont assez d’influence et qu’ils réussissent à « contaminer » d’autres branchés, une certaine masse critique est atteinte. Sur le graphique, c’est la première courbe juste au dessus de l’axe des refus. Par contre, cela ne veut pas pour autant dire qu’une fois la masse critique de branchés atteinte, que l’idée sera acceptée par les cercles d’amis immédiats.

    4.         Cercles d’amis. Les cercles d’amis immédiats adoptent l’idée. Pendant une certaine période de temps, plus ou moins longue, l’idée connaît des hauts et des bas. Si l’idée réussit à se répandre auprès de plusieurs cercles d’amis, elle commence alors à se transformer graduellement en un potentiel phénomène de masse. 

    5.         Groupes élargis. Une fois que l’idée commence à devenir un potentiel phénomène de masse, son nombre d’adeptes croît rapidement. On entre dans les groupes élargis.

    6.         Artistes. Les artistes constatent que certaines valeurs proposées par la tendance répondent à certaines de leurs sensibilités. Ils les adoptent et s’en font les porte-drapeaux.

    7.         Journalistes. Les journalistes se rendent compte du phénomène une fois qu’une masse critique adopte l’idée. C’est ici que l’euphorisation de la tendance commence. L’idée atteint maintenant la grande diffusion par le truchement des médias de masse. Par la suite, les médias individuels (médias sociaux) prennent la relève et rediffusent massivement l’idée.

    8.         Consensus. Dès que les médias (de masse et sociaux) se font la courroie de transmission des valeurs proposée par une tendance, le consensus s’établit. S’installent alors dans le discours de la tendance les phrases types suivantes : « Tout le monde s’entend pour dire que… », « Tous les scientifiques s’entendent pour dire que… », « Tous les experts s’entendent pour dire que… ». À défaut de certitudes, on évoque le consensus.

    9.         Gourous, spécialistes, experts. Les gourous, les spécialistes, les experts, et les experts autoproclamés amplifient de plusieurs degrés l’euphorisation de la tendance. Les gourous sont ceux qui initient les nouvelles idées ou les concepts innovateurs, mais ils ne reconnaissent pas les limites de leur savoir. Les spécialistes sont ceux qui savent vraiment de quoi ils parlent, mais ils extrapolent si on les oblige à les franchir. Les experts sont à mi-chemin entre les gourous et les spécialistes. Ils n’ont généralement pas une formation dans le domaine dont ils traitent, mais ils ont on eu la piqûre pour celui-ci. Ce faisant, ils n’ont aucune étendue de leur ignorance. Les experts autoproclamés sévissent sur le Web et les médias sociaux et ne savent pas qu’ils sont ignorants.

    10.     Grand public. Par l’effet combiné des journalistes, des gourous, des spécialistes, des experts et des experts autoproclamés, l’euphorisation atteint maintenant le grand public.

    11.     Sous-tendances. Lorsque le grand public s’investit dans la tendance, parfois, c’est le moment où les premières personnes qui ont adhéré au système de valeurs de la tendance commencent à décliner celles-ci en différentes sous-tendances.

    12.     Politiciens et législations. Lorsque le grand public adhère aux valeurs proposées par la tendance, celui-ci demande aux instances gouvernementales d’adopter des lois et des règlements pour encadrer les différentes pratiques reliées à la tendance. Lorsque les instances politiques s’impliquent, le niveau d’euphorisation augmente encore, car les gens se disent que c’est vraiment sérieux.

    13.     Radicalisation. Lorsque le niveau politique s’investit et prend position en faveur de la tendance, c’est généralement à ce moment que les gardiens de l’orthodoxie de la tendance déclinent la tendance en une ou des sous tendances plus radicales en augmentant le niveau des irritants de celles-ci.

    14.     Entreprises. Avec les politiciens et le grand public totalement euphorisés par la tendance, les entrepreneurs se disent qu’il est impensable de ne pas investir ce nouveau marché qui offre de nouvelles possibilités. Selon le degré d’euphorisation atteint, les entreprises qui s’opposaient jusque là à la tendance, ou qui étaient réticentes, succombent (parfois malgré elles) à l’euphorisation. 

    15.     Retardataires. Pour les gens qui tardent toujours à prendre le train d’une tendance, le fait que les entreprises, le politique et la majorité du public s’investissent dans la tendance, les convainc une fois pour toutes de suivre (parfois malgré eux).

    16.     Euphorisation maximale. Lorsque les quinze conditions précédentes sont réunies, l’euphorisation de la tendance atteint son apogée. La tendance acquiert le statut définitif de système de valeurs. 

    17.     Événement imprévisible. Une fois qu’une grande partie de la population est investie dans une tendance, un événement imprévisible — causes naturelles, décisions politiques, irruption de nouvelles technologies — fait basculer la tendance.

    18.     Effritement et effondrement. L’effritement ou l’effondrement d’une tendance n’est possible que par l’irruption d’un événement imprévisible : désastre naturel, décision politique ou économique, nouvelle technologie.

    19.     Nouvelle tendance. Et le cycle recommence avec une sous tendance ou une toute nouvelle tendance.

     dindification.com

        Plusieurs lecteurs de mon livre « Dindification – Développer son esprit critique dans un monde du prêt-à-penser » m’ont demandé de clarifier la notion de discours. La voici donc :

        Qu ’est-ce qu’un discours ? C’est une représentation mentale que l’on se fait de la réalité à propos d’un sujet tant qu’on ne dispose pas de solides évidences pour établir des faits cohérents et concordants avec la réalité.  

     Au XVe siècle, il y avait une solide discussion — discours — à propos de la position de la Terre par rapport au soleil : l’héliocentrisme — la terre tourne autour du soleil — et le géocentrisme — la terre est immobile au centre de l’univers. On n’avait pas encore établi avec certitude — fait —, que la Terre tourne autour du soleil. L’idée est la suivante : il y a présence d’un discours tant qu’on n’a pas statué une fois pour toutes sur l’état de la chose. Autrement dit, il y a discours tant qu’on ne dispose pas de solides évidences pour établir des faits cohérents et concordants avec la réalité. Tant qu’une certitude n’est pas établie à propos d’une réalité, la réalité possède toujours une double personnalité : l’une relève du factuel et l’autre du discours. Concrètement, le factuel représente l’ensemble des données vérifiables, cohérentes, et concordantes avec la réalité, tandis que le discours, est une représentation mentale que l’on se fait du factuel. Entre les deux, il y a un abîme, et c’est à partir de cet abîme que se forgent les discours. 

    Un discours possède toujours sa contrepartie tant que le factuel n’est pas établi. Par exemple, le discours du chocolat noir, du thé vert, des antioxydants, de l’obésité, de la mise en forme, et de la pratique d’un sport composent pour une grande part le discours de la santé actuellement à la mode. Ce discours a ses opposants, pour la simple raison qu’aucun « factuel » n’a été établi. Autrement dit, personne n’a de certitude à propos de quoi que ce soit à propos de la santé, sauf pour quelques exceptions qui sont aujourd’hui des faits établis — le tabac cause le cancer du poumon.

    Personnellement, je ne me place jamais dans la position opposée au discours dominant. Pourquoi ? Parce que, lorsque vous vous placez dans la position du camp opposé, vous vous placez dans une position de polémique, c’est-à-dire que vous pensez contre quelqu’un au lieu de penser la chose même et de proposer des analyses. Ma position épistémologique est la suivante : ce qui importe, ce n’est pas de savoir qui a raison ou qui a tort. Ce qui importe vraiment, c’est de savoir quels seront les impacts sur nos vies et la société si nous adhérons massivement au « pour » ou au « contre » du discours de la santé, du discours sur le réchauffement climatique, du discours de la transparence, ouverture, partage et collaboration du Web 2.0, ou de tous les autres discours imaginables.

      L'une des raisons pour laquelle nos systèmes de santé sont des gouffres sans fond pour les finances publiques, c’est peut-être justement parce que nous prêtons foi aux discours à propos de la santé plutôt que de nous en remettre aux faits vérifiés et vérifiables.

    © Pierre Fraser, 2011 


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