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La grande bifurcation ( Gérard Duménil, Dominique Lévy)
2014 199 p. 15 €
Le néolibéralisme est un phénomène de classe. Au début des années 1980, les minorités les plus aisées ont réussi un tour de force : rétablir leur pouvoir et leur revenu amoindris par le compromis social-démocrate de l’après-Seconde Guerre mondiale. Force est de constater aujourd’hui que l’effondrement financier de 2008 et la crise qui s’éternise n’ont pas mis un terme à ce retour ; la grande machine de régression sociale est toujours sur ses rails. On peut toutefois prévoir que la chute du néolibéralisme sera également un phénomène de classe. La thèse centrale de ce livre est que la condition politique pour que cela arrive est que les classes populaires, par leurs luttes, détachent les classes de cadres de l’alliance où ils se sont engagés aux côtés des propriétaires capitalistes et pèsent désormais de tout leur poids dans le jeu des forces politiques. Tout pourrait alors changer. La Bourse ne déciderait plus de la gestion et de l’avenir des entreprises ; le libre commerce et la libre mobilité des capitaux ne seraient plus des dogmes sacrés ; l’État s’impliquerait dans les politiques jusqu’alors prohibées ; le peuple de gauche rouvrirait les voies du progrès social et de la préservation de la planète… Au-delà de son cadre théorique et de ses analyses factuelles minutieuses, ce livre est un appel pour briser le front des droites qui gouvernent partout, que ce soit ce nom ou sous celui de « socialisme », et pour nous défaire de l’hégémonie financière. Qu’un gouvernement de vraie gauche accède au pouvoir dans un pays d’Europe, et le potentiel de lutte encore dormant dans d’autres espaces du continent déferlera.
Gérard Duménil et Dominique Lévy sont des économistes hétérodoxes, tous deux chercheurs au CNRS, et auteurs de plusieurs ouvrages, dont le dernier,
-The Crisis of Neoliberalism,
publié directement en anglais chez Harvard University Press, les a fait reconnaître comme des intellectuels d’envergure mondiale.
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Critique parue dans la revue électronique Les Possibles d'ATTAC"
" Voilà un livre remarquable. Rigoureux et audacieux. Gérard Duménil et Dominique Lévy abordent directement la question stratégique centrale, celle de la sortie du néolibéralisme, en tant que phase actuelle de la mondialisation capitaliste. Ils s’attaquent à la question la plus difficile, celle d’une sortie positive dans les vieux centres, particulièrement en Europe.
Il s’agit de réaffirmer un projet d’émancipation qui se situe dans la continuité de deux siècles et demi de luttes, des révolutions du XVIIIe siècle et de la montée en puissance de la classe ouvrière qui a suivi le développement de la grande industrie. Le livre ambitionne d’explorer le passage d’un projet progressiste à une émancipation sociale radicale.
Il faut prendre conscience du triomphe du néolibéralisme, mais aussi de son épuisement. Quelles sont alors les possibilités ouvertes, dans la prochaine période, d’un projet progressiste dans la perspective d’une émancipation radicale ? Quelle phase succédera au capitalisme néolibéral ? Dans l’hypothèse d’une grande bifurcation, entre les nouvelles formes de domination par les classes supérieures et celle de nouvelles voies de progrès et d’émancipation, comment redéfinir les notions de droite et de gauche ?
Le capitalisme n’est pas la fin de l’Histoire, mais il faut s’intéresser à l’histoire longue du capitalisme. Les auteurs mettent en évidence la transformation des institutions et celle de la propriété privée des moyens de production. Ils définissent les trois étapes de la révolution de la propriété privée : révolution des sociétés par actions ; révolution financière des grandes banques ; révolution managériale par les coresponsables des tâches capitalistes. Cette révolution s’accompagne des mécanismes de coordination et de contrôle centraux par les gouvernements, les banques centrales et la gouvernance des institutions internationales. Elle met en évidence l’articulation et la confrontation entre les réseaux de la propriété, les actionnaires, et les réseaux de la gestion, les hauts gestionnaires.
Le livre se réfère aux nombreux travaux de Gérard Duménil et de Dominique Lévy et à une approche néo-marxiste et alter-marxiste qui a été développée par Gérard Duménil et Jacques Bidet. L’ambition est d’ouvrir le champ d’investigation du politique, à partir des structures de classes et des luttes des classes. Cette interrogation est fondamentale comme l’avaient tentée, dans les années 1960, Louis Althusser, Etienne Balibar et bien d’autres, ainsi que Daniel Mothé et Serge Mallet avec la nouvelle classe ouvrière et dans les années 1970, Nicos Poulantzas avec les classes sociales dans le capitalisme d’aujourd’hui.
Le livre met en avant le renouvellement des structures de classes en insistant sur la montée des nouvelles classes de cadres. Les cadres formeraient une classe sociale montante, au-delà d’une catégorie supérieure du salariat ou d’une catégorie particulière des capitalistes. La classe des cadres joue un rôle central dans l’évolution des trois ordres sociaux du capitalisme managérial qui sont : la première hégémonie financière, le compromis managérial, le néolibéralisme. Le capitalisme managérial donne toute sa place au cadrisme. Dans la finance capitaliste, les institutions financières gérées par les cadres pourraient s’autonomiser et même échapper aux capitalistes. Les cadres financiers forment la frontière de la propriété et de la haute gestion. La contradiction entre capitalistes et cadres pourrait déboucher sur la possibilité d’une transition, du capitalisme au cadrisme, analogue à l’évolution de la bourgeoisie par rapport au féodalisme. ......."
Gustave Massiah, ingénieur, membre du Conseil international du Forum social mondial, ancien président du CRID, membre du Conseil scientifique d’Attac, auteur de:
-Une stratégie altermondialiste (La Découverte, 2011)
Tags : capitaliste, classe, cadre, livre, d’un
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