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La grande trahison (Pierre LARROUTUROU)
2014 255 p. 15 €
"Nous sommes des millions à nous sentir trahis, à penser : "Je n'ai pas voté pour ça!" Et pourtant, nous sommes des millions à croire encore à la justice sociale et à comprendre que détruire la planète, c'est détruire notre avenir. Des millions à savoir que la haine de l'autre n'a jamais créé un emploi. Nous ne pouvons pas nous résigner. Il existe des solutions efficaces pour sortir de la crise, une nouvelle donne est possible. Si les "élites" ont renoncé, nous, nous continuerons le combat. Il est temps de relever la tête. Il est temps de reprendre la main".Ingénieur agronome et économiste, Pierre Larrouturou est, avec Stéphane Hessel, l'un des fondateurs du collectif Roosevelt 2012. Dès 2002, il fut l'un des rares économistes à annoncer la crise. En novembre 2013, il quitte le Parti socialiste pour créer le mouvement Nouvelle Donne, qui rassemble déjà plus de 7 000 adhérents et présentera des listes citoyennes aux élections européennes du 25 mai 2014.Pierre Larrouturou : “Nous pouvons retrouver une prospérité sans croissance”[....]
La politique de l’offre adoptée par François Hollande, la nomination de Manuel Valls à Matignon et le pacte de responsabilité témoignent-ils selon vous de la mort du PS?
Le PS est mort. Il a arrêté de réfléchir en 2002. Après la baffe du 21 avril 2002, lorsque Le Pen est passé devant Jospin au premier tour de l’élection présidentielle, j’ai pris ma carte au PS en pensant que cela avait été un choc suffisant, qu’ils allaient se remettre en cause. François Hollande m’avait dit que s’il m’avait écouté, il n’y aurait pas eu de 21 avril, qu’il fallait que j’entre à la commission économique, que l’on organiserait des débats, etc. En fait, il n’y a jamais eu aucun débat, en dépit des statuts du PS qui en prévoient deux par an. Jamais on a réfléchit, ni quand on était dans l’opposition, ni maintenant que nous sommes au pouvoir. Aucun groupe humain, aucun journal, aucune association ne peut fonctionner avec ce niveau zéro de réflexion.
C’est d’autant plus scandaleux qu’il y a un foisonnement d’idées qui émergent dans la société civile. Toute les semaines des livres sortent avec des solutions (comme ceux de Krugman, Stiglitz…). Des citoyens et des élus locaux se manifestent. Les solutions sont sur la table, il suffirait de trois mois de travail pour avoir un vrai projet de société.
Mais le PS a abdiqué: ceux qui le dirigent sont d’un cynisme total. C’est peut-être la plus grande victoire du néolibéralisme: même les dirigeants du PS ne s’emploient plus qu’à gérer leur carrière, leur fric, leurs intérêts personnels. Ils ont renoncé au bien commun. Il y a une semaine Laurent Fabius était aux Etats-Unis avec John Kerry, et il annonçait qu’il ne restait que 500 jours pour éviter le chaos climatique. Il l’a répété en France. Pourtant dans le programme européen voté par la France, il n’y a en tout et pour tout que 20 millions d’euros qui sont prévus pour mettre sur pieds une industrie qui produise moins de CO2, ce qui est complètement ridicule. A Nouvelle Donne nous montrons qu’il est possible et nécessaire de dégager 1 000 milliards d’euros pour sauver le climat et financer la transition énergétique. Le climatologue Jean Jouzel a adhéré à Nouvelle Donne car il considère que notre programme est le plus solide. [...]
Ce qui vous distingue fondamentalement des autres partis, c’est que vous partez du principe que la croissance ne reviendra pas. Comment comptez-vous lutter contre le chômage dans ces conditions?
L’UMP et le PS s’opposent sur la manière de relancer la croissance, mais ils s’accordent pour dire que la croissance va revenir si on met en place leur politique. Ils considèrent qu’elle permettrait de sortir du chômage. Nous montrons que c’est faux. Depuis cinquante ans en France la courbe de la croissance baisse décennie après décennie. Il faut comprendre que c’est un cercle vicieux.
En France, depuis un an, il y a eu 300 000 chômeurs en plus, et 500 000 personnes qui ne sont plus comptées parmi eux, car elles sont tombées dans la pauvreté. En un an 800 000 personnes ont donc morflé. Comment voulez-vous que la croissance redémarre dans ces conditions ? D’ailleurs la consommation alimentaire recule depuis quatre mois en France! C’est dramatique. Cela signifie que des millions de personnes se contentent de nouilles, de pâtes et de riz trente jours par mois.
C’est scandaleux que dans un pays aussi riche, les gens doivent faire des économies tous les jours à ce niveau-là. Le discours pseudo-optimiste de Sapin et Hollande, “après la pluie le beau temps”, en fait, c’est “après moi le déluge”. Cela ne tient la route ni humainement ni économiquement. Nouvelle Donne montre que nous pouvons retrouver une prospérité sans croissance, donner un emploi à tout le monde. Il y a 37 milliards dans le fonds de réserve des retraites : pourquoi les laisse-t-on sur les marchés financiers, au lieu de les consacrer au logement?
Nous pourrions créer 200 000 emplois, et faire baisser les loyers de 200 euros pour chaque personne. De même, si l’on séparait les banques de dépôt des banques d’affaires, on pourrait financer et développer les PME, et l’impact d’une crise sur les marchés financiers serait marginal sur la société réelle. Nous avons rédigé un pacte européen, dans lequel nous prévoyons de dégager 1000 milliards sur vingt ans.
Chaque année la France disposerait de 20 milliards à taux zéro pour financier les travaux d’isolation. Selon une étude du CNRS cela pourrait créer 200 000 emplois aussi. Le partage du temps de travail actuel est stupide. Des millions de gens font 0 heure par semaines, et ceux qui ont un boulot font 39,6 heures. L’entreprise Mamie Nova fait partie des 400 entreprises qui sont passées à la semaine des quatre jours. Elle a créé 130 emplois en CDI (soit une augmentation de 15 %), sans baisser les salaires, et elle ne paye plus les cotisations chômage. Si toutes les entreprises le faisaient, de manière souple, on pourrait créer 1 600 000 emplois, selon une étude du ministère du Travail.
Plus on attend le retour miraculeux de la croissance, plus on s’englue dans la crise, on tombe dans la récession, jusqu’au prochain krach. Il n’y a aucun espoir que la croissance revienne, mais on peut créer plus de deux millions d’emplois et ressouder la cohésion sociale, en mettant le paquet sur le logement, les économies d’énergie, le financement des PME, le temps de travail. Quand la prochaine crise éclatera, elle arrivera alors sur un pays beaucoup plus solide, beaucoup plus soudé. Ce sont deux stratégies radicalement différentes.
Dans votre livre et dans vos meetings vous vous référez souvent à Roosevelt. Que représente-t-il pour vous?
Roosevelt, c’est le courage en politique. Il arrive au pouvoir en 1933, dans un pays sinistré, avec des millions de chômeurs. Il n’est plus tout jeune, mais dès la première semaine il agit. Il ferme les banques et fait passer une réforme des banques en une nuit. En trois mois il fait passer quinze grandes réformes. Les banquiers sont furieux, mais il tient bon, sépare les banques, crée l’impôt sur les bénéfices, s’arrange pour améliorer le revenu des paysans. Cela redonne force au peuple. Lorsque la crise est revenue, il a reconnu que le premier New Deal s’était épuisé, alors qu’en France on est dans le déni.
Il ne s’agit pas de l’idéaliser, mais au moment où l’Europe tombe dans la barbarie, Roosevelt sauve la démocratie et la cohésion sociale. Il a tordu le système économique pour le mettre au service du bien commun. Lors de la conférence de Philadelphie, il donne la priorité à la justice sociale, il montre qu’il n’y a pas de paix durable sans elle. Il explique que dans chaque pays il faut des règles sur le salaire minimum, le temps de travail, …
[...]
Dans votre livre, vous constatez que les idées libérales se sont emparées de Bruxelles, et que cela fait des dégâts dans la vie quotidienne des Européens, de plus en plus sceptiques sur l’utilité du projet européen. Que faut-il faire de l’Union européenne selon vous?
Il faut une Europe radicalement différente. Avant l’arrivée de Thatcher, l’Europe était un espace de coopération et de justice sociale. Puis il y a eu la révolution néolibérale, et les lobbies néolibéraux ont fait dérailler l’Europe. Ce qui était un espace de coopération est devenu un espace de compétition de tous contre tous. On comprend que cette Europe-là soit détestée des peuples.
Ce n’est pas du populisme de dire que cette Europe n’a plus rien à voir avec son projet initial. Le but de Nouvelle Donne est de faire une contre-révolution, et de rétablir ce que trente ans de dérégulation ont mis sens dessus dessous. C’est possible, mais sans doute pas avec 28 pays. Cependant on peut conserver l’héritage européen avec neuf ou dix pays. La taxe Tobin est déjà mise en place dans dix pays. Les Anglais sont furieux, les banques aussi, mais juridiquement nous pouvons construire une avant garde avec dix pays. [...]
Le programme du Conseil national de la Résistance avait pour titre “Les Jours heureux”. Vous qui avez été proche de Stéphane Hessel, pensez-vous qu’un parti politique pourrait aujourd’hui reprendre un titre aussi optimiste?
Oui, et à chaque meeting de Nouvelle Donne, nous concluons en parlant du droit au bonheur, de société de l’équilibre, de la convivialité, et de la fête. Nous n’avons jamais été aussi riches globalement. Nous avons tout pour vivre dans un pays de cocagne. Le seul problème relève du partage : partage de revenu, du travail, du pouvoir, de l’accès à la culture. Dans deux semaines je me rendrai sur le plateau des Glières, lieu symbolique de la Résistance, où j’ai été invité avec huit personnalités pour expliquer ce que serait le CNR en 2014.
Propos recueillis par Mathieu Dejean. Lire l'ensemble de l'article sur le site de Nouvelle Donne
Tags : pays, donne, c’est, croissance, 000
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