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La grève (Ayn RAND)
2017 1340 p. 19 €
Pourquoi le monde semble-t-il se détraquer ?
Pourquoi, sans raison apparente, un sentiment de désespoir et de frustrations se répand-il partout ?
Pourquoi, dans les pires moments, entend-on ce nom, sans visage et sans origine ?
Qui est John Galt ?Extrait
« Il se revit un soir assis, ou plutôt effondré sur son bureau. Il était tard, ses employés étaient partis ; il pouvait donc s’abandonner au repos en paix, sans témoin. Il était épuisé. Comme s’il avait mené une course d’endurance contre lui-même, comme si la fatigue négligée durant toutes ces années s’était abattue sur lui d’un coup, le terrassant sur son bureau. Il n’avait plus qu’un désir : ne plus bouger. Il n’avait plus la force d’éprouver quoi que ce soit – pas même la douleur. Il avait brûlé la chandelle par les deux bouts, allumé tant de feux, mis tant de choses en chantier. Qui lui fournirait l’étincelle dont il avait besoin, maintenant qu’il se sentait incapable de se relever ? Il s’interrogea : Qui lui avait donné l’impulsion au départ, qui lui avait donné envie de continuer ? Puis il releva la tête. Lentement, au prix du plus grand effort de sa vie, il se redressa et finit pas s’asseoir bien droit, soutenu seulement par sa main sur le bureau et son bras qui tremblait. Jamais plus il ne se reposa ces questions. »
(2017-03-30)« La grève », le roman de l’ultralibéralisme
Christian Chavagneux 17/07/2017https://www.alternatives-economiques.fr//greve-roman-de-lultraliberalisme/00079816En 1957, Ayn Rand publie La grève. Ce livre, qui offre aux ultralibéraux une justification morale à l'accumulation effrénée d'argent, dévoile aussi leur nature profondément égoïste.
Si vous vous intéressez aux idées économiques libérales, vous avez forcément été amené à croiser Atlas Shrugged (La grève, en français), l’époustouflant roman de l’écrivaine américaine Ayn Rand. Un monument de plus de 1 000 pages dont la traduction française est sortie récemment en poche. L’occasion d’aller regarder de près cet ouvrage mythique, vendu à plus de 11 millions d’exemplaires, passionnant par ce qu’il révèle des sentiments profonds des ultralibéraux.
Aux origines d’un roman engagé
Lorsque La grève sort en 1957, Ayn Rand n’est pas une inconnue. Une pièce de théâtre (1933), un premier roman (1936) et un deuxième à succès (1943) l’ont déjà installée sur la scène littéraire. Mais c’est la publication d’Atlas Shrugged qui lui assurera une immense renommée publique, en dépit d’une critique assassine.
C’est dans l’expression américaine « to make money », « faire de l’argent », que réside l’essence même de la morale humaine
L’auteure est également connue pour ses prises de position politique. En 1940, elle soutient le candidat républicain Wendell Willkie contre Franklin D. Roosevelt. En 1947, elle témoigne au « comité des activités anti-américaines » de l’Assemblée pour dénoncer la « propagande communiste » dissimulée dans les films produits par Hollywood. Un comité qui mettra dix personnes au banc de l’industrie (dont le réalisateur Edward Dmytryc, celui de L’homme aux colts d’or ou le scénariste Dalton Trumbo, celui de Spartacus). Au début des années 1950, elle apporte son soutien au maccarthysme.
En pleine guerre froide, Atlas Shrugged propose, au premier degré, la simple défense des vertus du capitalisme entrepreneurial face au modèle soviétique. Il faut préciser que Rand est née Alissa Zinovievna Rosenbaum le 2 février 1905 à Saint-Pétersbourg. De famille juive avec un père pharmacien, elle subit l’antisémitisme et la révolution russe de plein fouet. A 20 ans, elle émigre aux Etats-Unis, travaille quelque temps pour le réalisateur Cecil B. DeMille avant de vivre de petits boulots. En 1929, elle épouse un acteur au physique de gravure de mode, Frank O’Connor, avant de lancer sa carrière littéraire.
Le chef d’entreprise, ce héros
Atlas Shrugged s’organise autour de la figure d’un modèle idéal, celui du chef d’entreprise, dont la représentation est bâtie sur une double opposition : d’un côté, avec le commun des mortels, de l’autre, avec l’Etat prédateur.
L’industriel entreprenant est le seul à faire avancer le monde, selon Ayn Rand
L’industriel entreprenant est le seul à faire avancer le monde. Il doit sa capacité d’innovation et de direction des affaires à sa seule intelligence. L’homme du peuple est par essence improductif, c’est un parasite qui vit de la richesse des autres. A l’inverse, le chef d’entreprise poursuit la quête d’une meilleure vie matérielle pour lui-même, un égoïsme fondé sur l’estime de soi, tout à fait naturel et recommandé : il ne doit penser qu’à son profit et pas au bien-être de ses employés.
Ainsi, dans un célèbre passage du livre, un personnage défend la quête effrénée d’accumulation d’argent comme un principe essentiellement positif. L’argent n’est qu’une monnaie d’échange, est-ce mal de vouloir en gagner ? L’argent que je reçois n’est que le reflet de ce que les autres sont prêts à payer pour acheter le fruit de mon inventivité qui ne doit tout qu’à ma personne, est-ce mal ? L’argent reçu n’est que la récompense de l’intelligence individuelle, est-ce mal ? C’est dans l’expression américaine « to make money », « faire de l’argent », que réside l’essence même de la morale humaine.
Dans le monde de Rand, l’individu est roi et ne doit sa réussite ou ses échecs qu’à lui-même. Et dans un échange, tout le monde traite librement, d’égal à égal. Il n’y a pas de rapport de force, de rentes, de paradis fiscaux, d’inégalités injustes, de chômeurs involontaires, etc.
Le roman de Rand est une dénonciation implicite des Etats-Unis de Roosevelt
Tout ce qui est de l’ordre du collectif est une menace. Le roman de Rand est une dénonciation implicite des Etats-Unis de Roosevelt. En 1963, elle prononce un discours public intitulé « La nouvelle frontière fasciste », dans lequel elle assimile Kennedy à Hitler... Ainsi, dans Atlas Shrugged, l’Etat est une créature orwellienne, dictatoriale et spoliatrice. Il n’est qu’un empêcheur d’innover, un pillard qui vit sur le dos des individus les plus intelligents. L’impôt, c’est bien entendu le vol et les collecteurs d’impôts « une vermine qui grouillait depuis des siècles ». Le service public, c’est le blanchiment de l’argent du vol, et l’aide au plus démunis, l’entretien de parasites tels que la bureaucratie, les syndicalistes et les hommes politiques. L’idée que le besoin et non l’effort donne des droits à la solidarité est insupportable, et Robin des Bois est le type même de l’anti-héros, « le fournisseur des pauvres », un défenseur de l’état de nécessité.
Un livre captivant
Jeune, Ayn Rand maîtrise l’anglais, le français et l’allemand. Lectrice assidue, elle dit de Victor Hugo qu’il est « le plus grand romancier de la littérature mondiale ». Elle est très tôt persuadée que les idées exprimées dans des grands romans sociaux peuvent changer le cours du monde. Et il est vrai que l’ouvrage fait passer son message politique à partir d’une histoire captivante entre, d’un côté, les batailles menées par deux chefs d’entreprise pour faire aboutir leurs projets et, de l’autre, la disparation mystérieuse, progressive, des autres grands patrons.
Le lecteur doit également subir des scènes sentimentales de type Harlequin, où les femmes ne sont pas à l’honneur
Mais le lecteur doit également subir des scènes sentimentales de type Harlequin, où les femmes ne sont pas à l’honneur. L’un des chefs d’entreprise idéalisés est un véritable refoulé sexuel qui craint sa volonté de mâle domination. Il trouvera le bonheur dans les bras de l’héroïne du livre, cheffe d’entreprise volontaire, toute à la joie d’être soumise à ce héros qu’elle a réussi à attirer sexuellement, signe supplémentaire qu’elle est véritablement une gagnante ! Une immaturité émotionnelle, reflet de celle de l’auteur dont on apprendra après la mort qu’elle était sensible aux charmes des jeunes hommes et qu’elle a vécu de très nombreuses années dans un ménage à trois assumé et consommé avec son mari et un admirateur de vingt-cinq ans son cadet. On trouve également dans un très long chapitre l’exposition d’une approche "philosophique" du monde aux arguments indigents, qui n’ont jamais été pris au sérieux par les philosophes.
Après le succès populaire de La grève, Ayn Rand évolue entre dépression et engagement public. Elle se replie sur un petit groupe de partisans qui l’idolâtrent, dont Alan Greenspan, futur patron de la banque centrale des Etats-Unis. Irascible, elle n’accepte plus la critique. Elle meurt le 6 mars 1982.
L’ultralibéralisme exposé
Atlas Shrugged lui assure la postérité. Il offre à tous les ultralibéraux une justification morale à la poursuite d’une accumulation individuelle et effrénée d’argent. Il légitime par contre coup la dénonciation de toute forme d’organisation sociale et d’action économique publique comme le premier pas vers un collectivisme dictatorial.
C’est un livre fascinant, car il emmène ses lecteurs de l’autre côté du miroir de l’ultralibéralisme pour révéler, sans précaution ni faux-semblants, la nature profondément égoïste de ceux qui le défendent. Y compris par la violence. A la fin du livre, l’héroïne, armée, fait face à un soldat un peu perdu, car il ne sait pas si elle dispose ou non de l’autorité pour pénétrer dans le bâtiment où est emprisonné le personnage clé de l’histoire. Alors, face à ce garde hésitant quant à la décision qu’il doit prendre, « calme et détachée », nous dit l’auteure, elle « pressa sur la détente, visant le coeur ». Ainsi, elle « abattit cet homme qui avait prétendu exister sans assumer une seule responsabilité ». Bienvenu dans le monde d’Ayn Rand.
Roman d'énigme, roman philosophique, roman politique, La Grève (Atlas Shrugged) a été traduit en dix-sept langues et est le livre le plus influent aux Etats-Unis après la Bible. Le voici enfin disponible en version poche.
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