• La pensée extrème (Gérald BRONNER)

    2016    380 p.    19 €

       Comment expliquer la rationalité paradoxale de ceux qui s'abandonnent à la folie du fanatisme ? Gérald Bronner défait un certain nombre d'idées reçues sur leur profil et leurs intentions, à travers l'exploration d'un univers mental mal connu et qui, à juste titre, fait peur.
      En convoquant les travaux les plus récents de la sociologie, des sciences politiques et de la psychologie cognitive, son texte dessine un portrait inédit d'un mal qui ronge les démocraties contemporaines : la radicalisation des esprits. S'appuyant sur de nombreux exemples et expérimentations de psychologie sociale, il propose un descriptif des étapes qui conduisent au fanatisme et quelques solutions pour aider à la déradicalisation.

       Gérald Bronner est professeur de sociologie à l'université Paris-Diderot et membre de l'Académie des technologies. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur les croyances collectives, dont

      -La démocratie des crédules, qui a obtenu de nombreuses distinctions.

     Analyse de Jean-Bruno Renard:

       [1La publication par Gérald Bronner de

       -L’empire des croyances (Paris, PUF, 2003), puis de

      -Vie et mort des croyances collectives (Paris, Hermann, 2006) a fait de son auteur une figure marquante de la « sociologie cognitive » qui s’est développée dans le sillage de la théorie générale de la rationalité de Raymond Boudon.

    [1 La pensée extrême relève le défi d’appliquer cette approche à des croyances de fanatiques, que l’on qualifie si aisément de « fous » tant leurs idées et leurs comportements nous paraissent « irrationnels ». Ce livre passionnant, où l’auteur cisèle les notions comme un orfèvre, est une magistrale démonstration des mécanismes qui conduisent, de manière logique bien qu’effrayante, à adhérer à des idées extrémistes.

     2 L’auteur rappelle qu’une croyance se définit à la fois par un contenu (une idée) et par un rapport à ce contenu (une adhésion plus ou moins forte). La spécificité de la pensée extrême est qu’elle « adhère radicalement à une idée radicale » (p. 130). La conséquence en est que les idées extrêmes sont soit faiblement « transsubjectives », c’est-à-dire qu’elles se propagent peu dans une population parce qu’elles sont perçues comme peu convaincantes, soit « sociopathiques », c’est-à-dire qu’elles n’admettent pas des visions du monde différentes, soit encore dans les formes les plus dangereuses, elles cumulent les deux caractéristiques. D’où trois types d’extrémistes selon une progression croissante : les extrémistes aux croyances faiblement transsubjectives et faiblement sociopathiques (par exemple les collectionneurs compulsifs, les passionnés d’ovni, les fondamentalistes religieux non expansionnistes qui par conviction peuvent mettre en jeu leur vie mais pas celle des autres), les extrémistes aux croyances transsubjectives et sociopathiques (les mouvements violents, mais « compréhensibles » par beaucoup, comme les rebelles extrémistes, les égalitaristes, les antispécistes, etc.), enfin les extrémistes aux croyances faiblement transsubjectives et fortement sociopathiques (les membres de sectes se suicidant collectivement, les terroristes kamikazes, violents et « incompréhensibles »).

    3 La radicalité de la pensée extrême est le point ultime – rarement atteint – d’un processus graduel et rationnel d’adhésion à des idées. « Chaque étape a poussé l’individu vers la pensée extrême, mais chacune d’entre elles, prise séparément, peut sans doute être considérée comme raisonnable » (p. 36). Ainsi le militant sioniste extrémiste qui assassina Yitzhak Rabin, en 1995, a tenu un raisonnement implacable par sa logique : le juif pieux se soumet à la volonté divine ; la volonté divine s’exprime dans la Torah ; selon la Torah, Dieu a donné aux juifs la Terre sainte ; toute personne qui s’oppose à la colonisation s’oppose à la volonté de Dieu et doit donc être combattue, y compris par la violence, justifiée par la Torah. De même, les terroristes islamistes d’al-Qaïda pensent que les musulmans sont persécutés par des ennemis, que le Coran incite les bons musulmans à mener contre eux une guerre sainte, que les ennemis sont les Américains et leurs alliés (et non seulement leurs gouvernants), et que par conséquent la violence envers les populations américaine ou européennes est légitime. Pour la pensée extrême, tout compromis, tout aménagement, est inacceptable. La pensée ordinaire accepte les contradictions entre les croyances qui coexistent dans notre esprit ou dans notre société. La pensée extrême ne les accepte pas et construit une doctrine cohérente, « pure », monolithique et manichéenne. L’auteur rappelle, à la suite de plusieurs auteurs, que les terroristes ne sont pas des fous, des ignorants ou des déshérités : ils sont le plus souvent issus de classes supérieures et possèdent un niveau élevé d’instruction.

    4 Nous avons, souligne-t-il, de « bonnes raisons » pour résister à l’idée d’une rationalité des comportements extrêmes : comprendre, ce serait être complice, ou admettre que le mal est en nous, ou prôner un relativisme conduisant à reconnaître les « valeurs » des terroristes. Il nous faut pourtant accepter l’idée que l’extrémisme satisfait aux critères de la rationalité : « il énonce des doctrines cohérentes » (p. 61) et « il propose des moyens en adéquation aux fins poursuivies » (idem). Comme l’écrit l’auteur, « c’est là le problème avec l’extrémiste, il met en demeure par ses actions, par ses reproches, les individus plus tièdes que lui, mais partageant les mêmes valeurs, les mêmes croyances, de se mettre en conformité avec elles » (p. 95). La pensée extrême pèche non par manque mais par excès de logique. En adoptant une maxime qu’ils partagent tous, « la fin justifie les moyens », les fanatiques établissent une hiérarchie absolue et intangible de leurs valeurs. « Ce n’est pas qu’ils méconnaissent le mal, c’est qu’ils se croient autorisés à le faire » (p. 269). Dans la pensée ordinaire, on « met en balance » nos valeurs selon les situations, par exemple on peut mentir pour sauver une vie, manger un aliment interdit par la religion pour survivre. Autrement dit, on fait un usage relatif et conditionnel des valeurs. Au contraire, les fanatiques adhèrent de manière inconditionnelle à certaines croyances, ce qui les conduit à une « incommensurabilité mentale », c’est-à-dire une insensibilité à tout système de valeurs concurrent. En bref, les extrémistes considèrent « comme non négociables des croyances qui ne peuvent constituer le ciment de la vie sociale » (p. 307).

    5 Ce n’est pas le moindre des intérêts de cet ouvrage que de s’interroger en conclusion sur la manière de « faire changer d’avis un extrémiste » (p. 309). Pour l’auteur, l’attitude fanatique, pour extrême qu’elle soit, n’en est pas moins fragile et souvent temporaire : on ne naît pas fanatique, on le devient, et on ne reste pas fanatique toute sa vie (cf. la bande à Baader, les Brigades rouges). Les chemins qui mènent à l’extrémisme peuvent donc être pris en sens inverse : apparition du doute – d’abord sur les éléments périphériques des croyances, ceux qui ont souvent permis la radicalisation –, rétablissement d’une « concurrence cognitive » entre les valeurs, rétablissement d’un contact social pour contrer l’enfermement sectaire, disparition des frustrations qui ont suscité l’adhésion fanatique. C’est dire combien l’ouvrage de Gérald Bronner sera précieux pour tous ceux qui s’intéressent non seulement aux croyances en général, mais plus spécialement à l’extrémisme religieux ou politique et aux dérives sectaires. ]

    Référence électronique   Jean-Bruno Renard, « Gérald Bronner, La pensée extrême. Comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 156 | octobre-décembre 2011, document 156-27, mis en ligne le 14 février 2012, consulté le 01 mai 2016. URL : http://assr.revues.org/23456

    Sommaire

    Table des matières: 

    Avant-propos à la nouvelle édition
    Introduction

    1. Les extrémistes sont-ils des fous ?
    Étymologie et définitions ordinaires de l’extrémisme

    La compréhension est-elle une forme de complicité ?
    Rationalité et extrémisme
    Qu’est-ce que la pensée extrême en ce cas ?

    2. Comment devient-on extrémiste ?
    Un escalier dont les premières marches sont toutes petites

    Enserré dans un oligopole cognitif : l’adhésion par transmission
    L’adhésion par frustration
    L’adhésion par révélation/dévoilement

    3. Résoudre l’énigme de la pensée extrême : le paradoxe de l’incommensurabilité mentale
    L’extrémisme n’est pas une éclipse des convictions morales

    La concurrence intra-individuelle
    Présentation du paradoxe de l’incommensurabilité
    Le paradoxe de Saint-Pétersbourg et la courbe des intérêts
    Qu’en est-il de l’utilité en valeur ? Une expérimentation
    Comment rendre compte de la possibilité même de cette incommensurabilité ?

    Conclusion
    Bibliographie


    Citations

    Citation: 
    Comme tous les phénomènes sociaux, la radicalisation religieuse ne peut se saisir pleinement qu’en ne voyant qu’elle constitue une hybridation entre des invariants mentaux et des variables sociales.
    Certaines croyances nous paraissent absurdes ou contre-productives seulement parce que nous ne faisons pas l’effort de reconstruire l’univers culturel qui les inspire.
    Il ne sert à rien de « faire penser de nouveau » les adeptes de l’extrémisme, car leur réflexion ne s’est jamais interrompue.
    - See more at: https://www.puf.com/content/La_pens%C3%A9e_extr%C3%AAme_Comment_des_hommes_ordinaires_deviennent_des_fanatiques#sthash.dNwEdODn.dpuf

    Sommaire

    Table des matières: 

    Avant-propos à la nouvelle édition
    Introduction

    1. Les extrémistes sont-ils des fous ?
    Étymologie et définitions ordinaires de l’extrémisme

    La compréhension est-elle une forme de complicité ?
    Rationalité et extrémisme
    Qu’est-ce que la pensée extrême en ce cas ?

    2. Comment devient-on extrémiste ?
    Un escalier dont les premières marches sont toutes petites

    Enserré dans un oligopole cognitif : l’adhésion par transmission
    L’adhésion par frustration
    L’adhésion par révélation/dévoilement

    3. Résoudre l’énigme de la pensée extrême : le paradoxe de l’incommensurabilité mentale
    L’extrémisme n’est pas une éclipse des convictions morales

    La concurrence intra-individuelle
    Présentation du paradoxe de l’incommensurabilité
    Le paradoxe de Saint-Pétersbourg et la courbe des intérêts
    Qu’en est-il de l’utilité en valeur ? Une expérimentation
    Comment rendre compte de la possibilité même de cette incommensurabilité ?

    Conclusion
    Bibliographie


    Citations

    Citation: 
    Comme tous les phénomènes sociaux, la radicalisation religieuse ne peut se saisir pleinement qu’en ne voyant qu’elle constitue une hybridation entre des invariants mentaux et des variables sociales.
    Certaines croyances nous paraissent absurdes ou contre-productives seulement parce que nous ne faisons pas l’effort de reconstruire l’univers culturel qui les inspire.
    Il ne sert à rien de « faire penser de nouveau » les adeptes de l’extrémisme, car leur réflexion ne s’est jamais interrompue.
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    Certaines croyances nous paraissent absurdes ou contre-productives seulement parce que nous ne faisons pas l’effort de reconstruire l’univers culturel qui les inspire.
    Il ne sert à rien de « faire penser de nouveau » les adeptes de l’extrémisme, car leur réflexion ne s’est jamais interrompue.
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    Il ne sert à rien de « faire penser de nouveau » les adeptes de l’extrémisme, car leur réflexion ne s’est jamais interrompue.
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    Il ne sert à rien de « faire penser de nouveau » les adeptes de l’extrémisme, car leur réflexion ne s’est jamais interrompue.
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    Il ne sert à rien de « faire penser de nouveau » les adeptes de l’extrémisme, car leur réflexion ne s’est jamais interrompue.
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