• Le Divin Marché (Dany-Robert DUFOUR)

    Le divin marché (

    2012    416 p.    9,30 €

      «Les vices privés font la fortune publique» : aujourd'hui banale, cette formule, énoncée pour la première fois en 1704 par Bernard de Mandeville, scandalisa l'Europe des Lumières. Pourtant, ce médecin, précurseur trop méconnu du libéralisme, ne faisait qu'énoncer la morale perverse qui, au-delà de l'Occident, régit aujourd'hui la planète.
      Elle est au cœur d'une nouvelle religion qui désormais règne sans partage, celle du marché : si les faiblesses individuelles contribuent aux richesses collectives, ne doit-on pas privilégier les intérêts égoïstes de chacun ?       Dany-Robert Dufour poursuit dans cet ouvrage ses interrogations sur les évolutions radicales de notre société. À partir des «dix commandements» inquiétants qui sont au principe de la morale néolibérale aujourd'hui dominante, il analyse les ébranlements que celle-ci provoque dans tous les domaines : le rapport de chacun à soi et à l'autre, à l'école, au politique, à l'économie et à l'entreprise, au savoir, à la langue, à la Loi, à l'art, à l'inconscient, etc. Une véritable révolution culturelle est en cours. Jusqu’où nous mènera-t-elle ?
      Dany-Robert Dufour, philosophe, est professeur des universités, ancien directeur de programme au Collège international de philosophie, en résidence à l'Institut d'études avancées de Nantes.
     
      "Dans Le Divin Marché, la révolution culturelle libérale, D-R. Dufour tente de montrer que, bien loin d'être sortis de la religion, nous sommes tombés sous l'emprise d'une nouvelle religion conquérante, le Marché, fonctionnant sur un principe simple, mais redoutablement efficace, mis au jour par Bernard de Mandeville en 1704 : "les vices privés font la vertu publique". Ce miracle étant permis par l'intervention d'une Providence divine (cf. la fameuse "main invisible" postulée par Adam Smith). D-R. Dufour tente de rendre explicites les dix commandements implicites de cette nouvelle religion, beaucoup moins interdictrice qu'incitatrice - ce qui produit de puissants effets de désymbolisation, comme l'atteste le troisième commandement : "Ne pensez pas, dépensez !". Du point de vue de l'éducation et de la formation des sujets, D-R Dufour tente de montrer que le projet libéral tend à s'inscrire contre une conception de l'école conçue, depuis l'antiquité gréco-romaine, comme scholè puis otium. Cette conception invitait chaque individu, avant son entrée dans le monde des échanges (neg-otium), à se livrer à un travail de maîtrise de soi afin de ne pas avoir à subir ses propres passions, ni celle des autres. Nous devons donc bien distinguer entre deux conceptions de l'éducation, antagonistes. Dans la conception classique, il faut pratiquer le contrôle et la maîtrise des passions. Dans la conception libérale, il faut libérer les passions et les pulsions. Selon D-R Dufour, plus ce projet triomphera, plus nous assisterons à la mise en place d'un monde pulsionnel, grandement désymbolisé. Cependant, ce monde pose un nouveau problème: le contrôle des passions et des pulsions ne s'effectuant plus au niveau symbolique, il devra, de plus en plus, être pratiqué directement au niveau des corps, de l'intérieur (par des molécules) et de l'extérieur (par l'extension des techniques de surveillance) - ce qui n'est sans conséquence sur le fonctionnement démocratique des sociétés libérales. Plus généralement, ce livre, publié un an avant le début de la grande crise bancaire et financière de l'automne 2008, décrit et analyse les effets potentiellement dévastateurs du principe libéral (porté à ses ultimes conséquences avec l'ultralibéralisme), non seulement dans l'économie marchande, mais aussi et surtout dans les autres grandes économies humaines : les économies politique, symbolique, sémiotique et psychique - sans oublier celle qui les englobe toutes, l'économie du vivant." 
       Wikipédia
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      Jean Rouzel pour Le monde.fr

      .Peux-tu en quelques mots rappeler les thèses essentielles de ton ouvrage ?

    D-R.D.La thèse principale est que nous sommes tombés sous l'emprise d'un nouveau dieu, le Marché. Un nouveau dieu qui, comme tel, se présente comme un remède à tous les maux en nous promettant le bonheur et le rachat. Cette nouvelle religion n'est pas apparue d'hier. Elle est en gestation depuis exactement 3 siècles et elle triomphe aujourd'hui. Je tente donc d'en faire la généalogie en montrant comment elle s'est imposée et comment elle fonctionne aujourd'hui. À la base, elle procède d'un axiome simple, mais très puissant: "les vices privés font la vertu publique" ‑c'est-à-dire la fortune publique. Le grave problème est que cet axiome est probablement vrai. Je veux dire qu'il se vérifie au plan de l'économie marchande. Mais – là est toute la question – plus il se vérifie à ce niveau, plus il ne peut que déstructurer les autres grandes économies humaines. Je veux dire par là l'économie politique, l'économie symbolique, l'économie sémiotique et, bien entendu, l'économie psychique. J'examine donc dans ce livre comment cette nouvelle religion se diffuse à travers une série de commandements, très puissants bien qu'implicites. J'ai donc cherché à les rendre explicites. Et je suis tombé sur les dix commandements du libéralisme – soit un nouveau décalogue ‑, que j'ai fini par formuler ainsi :

      -Le premier commandement s'applique au rapport à soi et se formule ainsi : Tu te laisseras conduire par l'égoïsme… et tu entreras gentiment dans le troupeau des consommateurs ! (Ce qui aboutit à la destruction de l'individu).

      -Le second commandement vient au niveau du rapport à l'autre : Tu utiliseras l'autre comme un moyen pour parvenir à tes fins ! (soit une parfaite inversion de la seconde maxime kantienne qui aboutit à la destruction de toute common decency).

       -Le troisième commandement correspond au rapport à l'Autre : Tu pourras vénérer toutes les idoles de ton choix pourvu que tu adores le dieu suprême, le marché ! (Ce qui aboutit au retour du religieux et à l'invention de la figure du pervers puritain).

       -Le quatrième commandement a rapport au transcendantal : Tu ne fabriqueras pas de Kant―à―soi visant à te soustraire à la mise en troupeau ! (ce qui aboutit à la déconsidération de l'idéal critique).

      -Le cinquième commandement a rapport au politique : Tu combattras tout gouvernement et tu prôneras la bonne gouvernance ! (ce qui aboutit à la destruction du politique ravalé à la somme des intérêts privés).

      -Le sixième commandement a rapport au savoir : Tu offenseras tout maître en position de t'éduquer! (ce qui aboutit à la déconsidération de la transmission et au discrédit du pouvoir formateur des œuvres).

      -Le septième commandement a rapport à la langue : Tu ignoreras la grammaire et tu barbariseras le vocabulaire ! (Ce qui aboutit à la création d'une novlangue).

      -Le huitième commandement a rapport à la loi : Tu violeras les lois sans te faire prendre ! (Ce qui aboutit aussi bien à la prolifération du droit et de la procédure qu'à l'invalidation de toute forme possible de Loi).

      -Le neuvième commandement a rapport à l'art : Tu enfonceras indéfiniment la porte déjà ouverte par Duchamp ! (Ce qui aboutit à la transformation de la négativité de l'art en une comédie de la subversion).

      -Le dixième commandement a rapport à l'inconscient : Tu libéreras tes pulsions et tu chercheras une jouissance sans limite ! (Ce qui aboutit à la destruction d'une économie du désir et son remplacement par une économie de la jouissance).


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