• Le Père Noël se cache-t-il dans nos ordures

    Le Père Noël se cache-t-il dans nos ordures

     

     
    (Crédit photo : stéphane lavoué - tendance floue)
    De l’or dans nos poubelles ? Eh oui, car quand certaines ressources naturelles s’épuisent, le recyclage prend une importance stratégique. Problème : la France a un train de retard sur ses voisins. Premier volet de notre enquête sur le business des déchets.

      Article publié dans le magazine Terraeco de juin 2013
    "Les hypers en bout de course(s)"

    Pshiiiit. La canette est ouverte. Buvez, éliminez. Zut, pas de bac vert dans la rue alors hop, vous la jetez dans une corbeille lambda. Malheur : 43 % des canettes échappent comme la vôtre au tri sélectif et ne sont donc pas recyclées. Sacré Français : au Brésil, vous l’auriez généreusement donné à un chiffonnier. En Allemagne, cet emballage étant consigné, vous l’auriez sans doute poliment déposé dans un magasin. Nos cousins germains parviennent à recycler 96 % de l’aluminium, alors que ce taux n’est ici que de 57 %, déplorent les Amis de la Terre (1).

    Non mais, allô ? Ne connaissez-vous donc pas les cours de l’aluminium, dont sont faites les canettes, sur lesquels sont indexés les prix des matières issues du recyclage ? 1 632 euros la tonne « originale », quatre fois moins pour l’aluminium recyclé, issu de nos casses automobiles ou de nos emballages. Mais – l’hallu –, il se recycle quasiment à 100 % (comme le verre) et à l’infini. Aussi, l’alu recyclé représente 43 % de notre consommation nationale, davantage que la matière première made in France. Le secteur automobile en est de plus en plus friand pour remplacer l’acier et rendre les voitures plus légères, donc moins énergivores. Si l’alu n’est pas rare, il pourrait quand même s’arracher à prix d’or. En outre, l’aluminium recyclé ne nécessite que 5 % de l’énergie utilisée pour son extraction et sa transformation, et permet ainsi d’éviter 97 % des émissions de gaz à effet de serre. Globalement, le recyclage fait économiser à la France 3,6 % de ses émissions, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).

    La croissance des pays émergents affolant les cours des matières premières, les poubelles des riches sont un nouvel eldorado. « Les gisements de déchets constituent une source d’approvisionnement indispensable pour de nombreuses activités, affirme l’Ademe (2). Dans les industries sidérurgiques françaises, le taux d’utilisation de ferrailles dépasse 40 % ; dans le verre d’emballage, le taux d’utilisation du calcin (issu du verre usagé) dépasse 50 %. »Non seulement nos rebuts compensent les importations de matières premières « vierges », mais ils s’exportent ! En 2011, les matières premières recyclées affichaient sur la balance commerciale française un excédent de 2,8 milliards d’euros. Loin derrière l’aéronautique (11,7 milliards d’euros), mais devant d’autres fleurons, comme l’automobile (déficitaire).

    Mieux qu’en Allemagne

    En France, on n’a plus de mines, ni de pétrole, mais on a des déchets. Plein : 355 millions de tonnes en 2010, selon le ministère de l’Ecologie (3), majoritairement des déchets minéraux, issus du BTP (le double, en comptant les déchets agricoles, qui restent sur les exploitations). Pour une fois, les Français font mieux que les Allemands : 5,5 tonnes par personne, contre 4,4 tonnes outre-Rhin. C’est bien connu, le coq chante les deux pieds dans la m… Euh, dans la mine urbaine. Puisées dans ce terril, 44,3 millions de tonnes de matières premières sont aujourd’hui recyclées, selon Federec, la fédération des entreprises du recyclage. Le chiffre d’affaires de ces dernières progresse de 8 % par an depuis huit ans, pour atteindre 12,4 milliards d’euros en 2012.

    Les historiques chiffonniers et ferrailleurs juifs ou auvergnats ont cédé la place à des multinationales, comme Veolia Propreté et Sita (filiale de Suez Environnement), respectivement numéro 2 et 4 mondiaux des déchets. Et le secteur recrute : 33 500 salariés actuellement, peut-être 10 000 ou 20 000 de plus d’ici à 2015, grâce au développement de certaines filières. Le biogaz, produit à partir de la dégradation de déchets organiques, pourrait représenter entre 1 % et 20 % du gaz consommé. En février dernier, pour la première fois, un centre de tri, celui de Forbach (Moselle), a injecté de ce biométhane dans le réseau. Et le gouvernement veut créer 1 000 méthaniseurs à partir des déchets agricoles d’ici à 2020.

    La mine d’or des portables

    Le fumier sera-t-il notre gaz de schiste ? Et les débris notre mine de Potosi ? Avec l’épuisement des filons, le recyclage s’impose naturellement. Par exemple, les gisements exploitables, à un coût admissible, d’or et de zinc, très prisés en électronique, fermeront en 2025. Dans sa vision d’une Europe économe en ressources, Bruxelles veut sortir 14 matières premières stratégiques des poubelles. Le lithium, par exemple, utilisé dans les batteries de portables et de voitures électriques et hybrides. Mais la majorité des réserves connues se trouvent dans les pays andins, et seulement 5 % des batteries contenant ce métal sont recyclées (1). Même problème pour dix métaux qui alimentent les industries aéronautiques et automobiles en France, et qui risquent de manquer d’ici à 2016, selon une étude remise en mars dernier au Comité des métaux stratégiques, rattachée au ministère du Redressement productif (4).

    Quantité de métaux sont désormais « hors sol » : alors qu’on ne trouve que 5 grammes d’or par tonne de minerai extrait du sol, il y en a 350 grammes par tonne de téléphone portable. Le hic : seulement 5 % des mobiles sont récupérés chaque année… Il faut développer des technologies permettant de récupérer ces matières précieuses présentes en très faibles quantités dans les appareils – ce que vient de faire le groupe de chimie français Rhodia pour les terres rares. Mais avant tout vider nos tiroirs.

    Alors nos poubelles, une poule aux œufs d’or ? Ne poussons tout de même pas mamie dans le compost, surtout si elle est en short. Les déchets coûtent toujours plus à la collectivité qu’ils ne lui rapportent. « Les dépenses des entreprises et des villes pour traiter leurs déchets continuent d’augmenter, représentant 15,2 milliards d’euros en 2011 », indique l’économiste Philippe Gattet, de l’institut Xerfi-Precepta. Les premières se tournent vers l’écologie industrielle, dans laquelle les déchets des unes deviennent les matières premières ou les ressources énergétiques de leurs voisines. Mais c’est encore poussif : seuls quelques dizaines de sites industriels, sur plusieurs milliers en France, testent de telles boucles.

    Du côté des ménages, chaque Français paye 109 euros pour l’enlèvement de ses déchets, selon la Cour des comptes. La facture pourrait baisser pour les plus vertueux, si la redevance incitative (paiement des ordures au poids) se généralise. Et grimper pour la plupart, car la solution la moins onéreuse, l’enfouissement des déchets, va disparaître, souligne Adrien Bastides, chargé du pôle déchet à Amorce, une association de collectivités territoriales et de professionnels des déchets : « La principale volonté politique, tant au niveau français qu’européen, c’est de réduire le stockage. 30 % de nos déchets ménagers partent encore en décharge sans aucune valorisation. » Un autre tiers est incinéré et 34 % sont recyclés ou compostés, avec un objectif de 45 % en 2015. L’Autriche est à 70 %, l’Allemagne à 66 %…

    Les incinérateurs dans le viseur

    Pourquoi ce retard à l’allumage ? « Notre fiscalité favorise encore trop l’enfouissement et l’incinération, mais la loi-cadre sur l’économie circulaire, promise par la ministre de l’Ecologie, Delphine Batho, va changer la donne », assure le député écologiste François-Michel Lambert. « La France a le quart des incinérateurs européens. Pour faire face à leur surcapacité et assurer la pérennité de leur alimentation, elle n’a pas suffisamment investi dans la prévention, le tri et le recyclage », estime Delphine Lévi Alvarès, chargée de mission au Centre national d’information indépendant sur les déchets (Cniid). L’incinération va s’éteindre à petit feu, affirme Gérard Miquel, sénateur (PS) du Lot et président du Conseil national des déchets (CND). « Il faudra amortir les installations et passer à d’autres systèmes pour recycler au maximum », indique l’élu, qui dénonce surtout l’illisibilité des consignes de tri.

    On peut facilement se tromper de bac, ou se débarrasser d’objets sans passer par les organismes de collecte – sur 1,6 million de tonnes d’équipements électriques et électroniques mis chaque année sur le marché, seulement le quart de ce tonnage est récupéré. Parfois parce que la règle du « un appareil repris pour un acheté » n’est pas respectée par les distributeurs ; souvent parce l’objet emprunte une filière illégale. Ces réseaux inquiètent vivement entreprises et autorités (Lire le deuxième volet de notre enquête, le mois prochain).

    Enfin, on jette beaucoup parce que les fabricants ne sont guère contraints financièrement à produire durable. « Le seul engagement du Grenelle qui n’a jamais été respecté, c’est la taxe sur les produits fortement générateurs de déchets, dite taxe pique-nique, gronde Adrien Bastides. Résultat : il n’y a aucune valorisation pour les textiles sanitaires, comme les couches, et seulement 40 % des plastiques sont recyclables. » Il s’agit notamment des bouteilles PET (polytéréphtalate d’éthylène), qui se revendent plus de 500 euros la tonne. La France en exporte 45 %, mais son taux d’utilisation dans les entreprises plastiques françaises stagne aux alentours de 5 %, souligne l’Ademe.

    Désindustrialisation, le piège

    On touche là une limite au boom du recyclage. « La France s’est désindustrialisée, les papeteries ou les aciéries, comme celle de Florange, sont en difficulté, rappelle Frédéric Boudier, président de Federec Sud-Ouest Atlantique. Nos entreprises ont pris pas mal d’ardoises et la question de la pérennité des débouchés locaux se pose souvent. Or, nous avons intérêt à travailler sur place pour limiter nos frais de transport. » L’économiste Philippe Gattet assure même que « la France risque d’avoir un vrai problème d’innovation dans le domaine du recyclage. Comment recycler une éolienne qui comporte 50 métaux et éléments en mélange si on n’a plus de métallurgie en France ? »

    Tout un symbole : en 2006, le porte-avion Clemenceau voguait vers l’Inde pour y être désossé, avant de faire demi-tour devant la bronca des écologistes. Aujourd’hui, une filière (propre) de démantèlement de navires émerge en France, notamment dans le port de Bordeaux, alors que le pays s’interroge sur l’avenir des chantiers navals de Saint-Nazaire. Les ferrailles vogueront-elle vers l’Inde pour satisfaire les industries de Mittal ? Les poubelles, c’est renversant. —

    (1) A lire      sur le site de terraeco

    (2) A télécharger   id.

    (3) A lire              id.

    (4) A télécharger   id.


    REP, REP, REP ! Hourrah ?

    Les REP – pour « responsabilité élargie du producteur » – sont des dispositifs qui appliquent le principe pollueur-payeur à une vingtaine de filières. Un fabricant (ou un importateur) doit alors financer la fin de vie de son produit. En fait, le consommateur paye une écocontribution à l’achat de son ordinateur (REP déchets électriques et électroniques), de son étagère Billy (REP meubles) ou de son jean (REP textile). Des éco-organismes, dont les entreprises ont le contrôle, redistribuent ensuite cette manne aux collectivités. Actuellement, Eco-emballages finance moins de la moitié de leurs charges de collecte et de tri. Objectif : arriver à 100 %. Et surtout, selon Jean-Charles Caudron, chef-adjoint au service filières REP et recyclage de l’Ademe, il faut « moduler les contributions des entreprises : donner des bonus aux entreprises qui conçoivent des produits qui se démantèlent ou se réparent facilement, et pénaliser les autres ».

      Sources de cet article

     Le site du Cniid

     Le site de Federec

     La page du Centre national des déchets 


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