Bravo à l'Institut Veblen et aux Petits matins d'avoir fait remonter à la surface cette belle pépite, enfouie dans les rayons des bibliothèques depuis sa parution en 1950. L'économiste germano-américain Karl William Kapp nous y explique que l'action économique privée induit des coûts sociaux qui ne sont pas pris en compte par les systèmes de prix et dont le poids est finalement supporté par la collectivité. Le livre tient ainsi en permanence deux niveaux de discours, l'un explicitant ces coûts sociaux, l'autre dénonçant leur non-prise en compte par la théorie économique dominante. Car de nombreux auteurs - d'Adam Smith à John Maynard Keynes, de Simonde de Sismondi à Thorstein Veblen et d'autres - s'y sont frottés, mais sans que cela soit intégré dans l'approche économique traditionnelle.

  Les coûts sociaux en question sont ceux auxquels on pense, comme la pollution de l'air, la dégradation de la qualité de l'eau ou la baisse de la biodiversité. L'occasion pour Kapp d'aborder, dès les années 1950, les questions de santé environnementale ou bien des effets néfastes de la concentration territoriale des activités économiques.

  Mais l'ouvrage inclut également dans ces coûts la dégradation des conditions de travail et le développement des maladies professionnelles ou encore les effets du progrès technique sur l'emploi - rappelant que David Ricardo a fini par les juger importants. L'ouvrage s'attaque aussi aux coûts de la concurrence entre les entreprises. Celles-ci sont poussées à une guerre économique aux effets délétères : des pratiques morales en baisse, des comportements d'obsolescence programmée des produits, des dépenses de publicité extravagantes qui influent sur le consommateur et réduisent la souveraineté de ses choix postulée par la théorie dominante.

  Etudier ces différents coûts sociaux demande d'élargir le périmètre des analyses au-delà des petits modèles théoriques, pour plonger dans l'écologie, la politique, les stratégies d'entreprise, la psychologie, l'histoire, etc., bref, d'avancer, conclut Kapp, vers une véritable économie politique qui prenne au sérieux le décryptage de la valeur sociale, et non pas seulement individuelle et privée, des activités économiques. C'est à cette condition que la science économique pourra devenir "un système de connaissances voué à l'étude de la nature et des causes de la richesse des nations".

   Christian Chavagneux
Alternatives Economiques n° 348 - juillet 2015