• Les "locavores", des consommateurs engagés.

     Ils achètent local pour sauver la planète

     
    par Juliette Labaronne (Clés)

    Deux cent cinquante kilomètres entre la production et l'assiette : c'est la distance maximale qu'Anne-Sophie accepte de faire parcourir à ce qu'elle mange. Comme elle, de plus en plus de personnes exigent de se nourrir de saison et local.

     [....]« La consommation n’est pas un acte neutre. C’est une force de frappe. En vertu de quoi avons-nous renoncé à fabriquer les produits dont nous avons besoin ? Pour fermer nos usines ? Faire venir du bout du monde baskets et jouets, rejetant au passage des tonnes de CO2 ? » Ce coup de gueule est lancé par Hervé Gibet, quarantenaire parisien qui, en 2007, se met à traquer, pour sa consommation personnelle, les produits fabriqués de A à Z en France. En 2008, pour partager le fruit de son enquête, il lance le site La Fabrique hexagonale. « Au départ, les gens étaient perplexes. Où est l’intérêt ? Il a viré pétainiste, le garçon ? Dans mon milieu plutôt alter, ça dérangeait. »

      Trois ans plus tard, des dizaines de milliers d’internautes consultent chaque mois son blog. Logos cocardiers, coqs bombant le torse et stickers « Fabrication française » ont fleuri sur nos emballages. On n’est plus en 1993, quand la campagne « Nos emplettes sont nos emplois » tentait de sensibiliser les Français à l’achat bleu-blanc-rouge : si le slogan fit mouche, le succès fut mitigé. En 2011, ce ne sont pas les chambres de commerce qui poussent au made in France, mais les consommateurs eux-mêmes – dont quatre sur dix se déclarent prêts à payer plus cher pour un produit fabriqué dans l’Hexagone. Et ce que consom’acteur veut, il l’obtient généralement assez vite.[....]

    Tendance réac ?

     

    Après nous être goinfrés par palettes de marchandises made in monde, peut-on parler d’épidémie de chauvinite aiguë ? Ou de retour à un protectionnisme tendance réac ? Hervé Gibet met les pieds dans le plat : « Quand j’ai remarqué que mon site était beaucoup lu par des gens recroquevillés dans la peur de l’étranger, cela m’a surpris. Pour clarifier les choses, j’ai posté des billets engagés à gauche, ce qui m’a valu menaces et attaques de hackers d’extrême droite : ils croyaient être en territoire ami ! En défendant l’économie locale, on n’est pas nationaliste : mes motivations sont sociales et écologiques. Et je me sens plus proche d’un ouvrier sénégalais qui bosse et paye ses impôts en France, que d’un grand patron du CAC 40. »

    Des alters et des frontistes réunis à leur insu sur un même site ? L’anecdote fait sourire Patrick Viveret, ­ardent défenseur du concept de sobriété heureuse : « Cette histoire illustre l’ambivalence et la diversité des démarches qui conduisent à l’achat de proximité. En ces temps de montée de la xénophobie, il est important de les différencier. » Pour le philosophe, si la tentation du repli identitaire ou le snobisme du made in France existent, l’arbre ne doit pas cacher la forêt : « Nous sommes devant un changement de posture plus large. De plus en plus de gens sont soucieux de consommer autrement, à échelle humaine mais dans l’ouverture multiculturelle, sensibles à la justice sociale, à l’écologie… Avec eux émerge une société civile mondiale, consciente que sa consommation devient acte civique. Et si la valeur locale n’est pas un absolu, elle fait partie des éléments pris en compte, au même titre qu’un label bio ou commerce équitable. » [....]

     

    Chasse au CO2

     

    L’argument écologique met la planète entière au cœur des préoccupations. Avec lui naît une nouvelle génération d’acheteurs prompts à lire les étiquettes, à des années-lumière du franchouillard chauvin. Dans cette chasse au CO2, certains vont jusqu’à fixer une limite géographique aux aliments qu’ils mettent à leur menu : cent cinquante à trois cents kilomètres. Manger strictement local : l’idée paraît extrême, voire injouable. Le mouvement s’est pourtant répandu comme une traînée de poudre. Anne-Sophie Novel, 30 ans (lire CLES n° 71, p. 45), se nourrit autant que possible de denrées produites près de sa maison bordelaise et s’épanouit en prenant le temps de discuter au marché avec « ses » producteurs. « Je suis de la génération Pacte écologique. Porto Alegre, Hulot, Al Gore, sont à l’origine de mon engagement, en 2006. » C’est là qu’elle s’interroge : que faire à son niveau ? « Veiller à l’impact de ce que je mange est l’une des réponses. Sans rompre avec le reste du monde : les locavores ont inventé les exceptions Marco Polo, qui permettent de contourner la règle, notamment pour les épices. Manger local m’a ouverte à d’autres domaines. En modifiant mon rapport au temps, aux saisons et même aux autres, cela a donné du sens à ma vie. »

    Plus largement, le Grenelle de l’environnement et des actions grand public comme « Des fraises au printemps », pilotée par la Fondation pour la nature et l’homme, font leur effet. Après les années « bio à tout prix » (à contre-saison ou venu par cargo des antipodes), le coût écologique entre dans les consciences.


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