• Les scandales de Pôle emploi

     11 Octobre 2012     Par Laurence Dequay  (Marianne)

    Embourbé dans le chômage de masse, notre service public de l'emploi ne parvient pas à remplir ses missions. Entre problèmes structurels lourds et anomalies bureaucratiques, il y aurait pourtant beaucoup à faire pour tenter de conjurer au mieux la conjoncture... Enquête sur une administration défaillante.


    (Lionel Cironneau/AP/SIPA)
    (Lionel Cironneau/AP/SIPA)
    Cela fait trois ans que Maurice* K. est inscrit à Pôle emploi. Trois ans que ce cadre commercial de 55 ans regarde avec angoisse les chiffres du chômage grimper, et le marché du travail se tendre. Trois ans, enfin, qu'il estime avoir été insuffisamment pris en charge par un service public défaillant. Alors, appuyé par la CGT Précaires, notre homme a porté plainte, le 10 septembre dernier, accusant son conseiller de Pôle emploi de ne l'avoir reçu que quatre fois depuis 2009, et de ne lui avoir jamais transmis les offres de travail existantes correspondant à son profil, l'obligeant ainsi en fin de droits à survivre d'un job à temps partiel de porteur de journaux. En référé, la justice administrative a, en première instance, tranché en sa faveur. Citant, même, dans ses ordonnances, le préambule de la Constitution de 1946 (« Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi »), et la Déclaration des droits de l'homme. Mais, en appel, les magistrats ont annulé le référé, arguant que la condition d'urgence n'était pas remplie...

    Et pourtant. Au moment même où des milliers de Maurice K. reprochent au service public de les négliger, ce dernier renonce officiellement, faute de budget et faute de troupes, à convoquer mensuellement ses 4,73 millions d'inscrits. C'était pourtant, en 2008 encore, la grande ambition du nouveau service de l'emploi (né de la fusion entre l'ANPE et les Assedic) : offrir, comme en Angleterre ou en Allemagne, un soutien suivi et individualisé à chaque inactif. Mais, quatre ans plus tard, on est encore très loin des performances de nos voisins aux derniers pointages, Pôle emploi disposait d'un ratio de 71 agents à temps plein pour 10 000 chômeurs, contre 113 en Grande-Bretagne et 110 outre-Rhin.

    Renoncements contraints
      
    Tellement loin, donc, que le nouveau directeur de l'administration, l'inspecteur des finances Jean Bassères, a décidé de battre en retraite : désormais, les 45 400 conseillers de Pôle emploi ne seront plus tenus d'organiser que quatre rendez-vous au cours des neuf premiers mois d'inactivité. Et seuls les 300 000 inscrits les plus éloignés de l'emploi se verront proposer un suivi plus assidu, avec des agents n'ayant pas plus de 70 chômeurs dans leur portefeuille. Sans doute faut-il reconnaître à la démarche un certain pragmatisme, comme l'ont fait le gouvernement et la CFDT. Reste qu'en période d'explosion du chômage ces renoncements contraints par l'absence de moyens paraissent insupportables aux inscrits.

    Et les choses ne sont hélas pas près de s'arranger. D'abord parce que le sous-emploi de masse est en train d'enrayer totalement ce service public, dont les bénéficiaires comprennent de moins en moins le fonctionnement. Ces derniers temps, en effet, Pôle emploi a dû faire face à une explosion du nombre de ses inscrits (+ 7 % au premier semestre 2012), tandis que le nombre d'offres de recrutement, lui, chutait.

    Ajoutez à cela que la qualité des jobs proposés, elle, s'est drastiquement dégradée en 2011, 11 millions de contrats portaient sur une durée inférieure à une semaine et vous comprendrez pourquoi, désormais, 62 % des dossiers traités par Pôle emploi concernent les cas complexes de chômeurs enkystés comme Maurice K. dans un dispositif dit d'« activité réduite », cumulant, au mois le mois, des petits jobs éphémères aux salaires ultrachiches, avec un peu d'allocation de retour à l'emploi (ARE), une pincée de revenu de solidarité active (RSA) ou encore un bout d'allocation spécifique de solidarité (ASS). Un dispositif si alambiqué que, selon la dernière enquête de l'Unedic, 92,4 % des bénéficiaires en ignorent les règles précises d'indemnisation ! Et, côté administration, c'est une galère sans nom.

    « Cette énorme surcharge de travail embourbe Pôle emploi », s'alarme ainsi Jean-Louis Walter, médiateur de ce service public, et ancien secrétaire général de la CFE-CGC. De sorte qu'en cette rentrée les 32 000 conseillers en charge de l'accueil des chômeurs ne consacrent que deux ou trois demi-journées par semaine à cette activité.
     
    Propositions de postes rares
      
    Autre aberration qui vient plomber l'agenda des conseillers : en plus d'une bureaucratie de plus en plus chronophage, il leur faut aussi dénicher les offres d'emploi auprès des entreprises. Car, contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, la grande majorité des propositions de postes échappent à Pôle emploi (50 % du marché ouvert !). Et, crise oblige, celles qui finissent par passer par les listes du service public se raréfient ( 16,8 % sur un an). « En 2013, on ne va quand même pas les inventer, les jobs ! » s'inquiète Stéphanie Drouin, conseillère dans la banlieue de Toulouse, où Sanofi lance de sévères restructurations. Pour elle, comme pour beaucoup de ses collègues, ce n'est hélas pas la création de 2 000 postes d'agents de Pôle emploi annoncée en juin par Michel Sapin qui viendra à bout du problème.

    « La nouvelle majorité a beau avoir fait de la lutte contre le chômage une priorité nationale, c'est le serpent qui se mord la queue, critique Emmanuel M'Hedhdi, du SNU Pôle emploi FSU. Comment allons-nous convaincre en 2013 des patrons d'embaucher des jeunes en contrat d'avenir ou de génération si nous ne connaissons pas précisément leurs besoins ? » Même constat du côté du médiateur, Jean-Louis Walter, qui regrette que la collecte des postes disponibles « soit devenue la variable d'ajustement de l'activité de Pôle emploi ». « Quand un conseiller n'a pas d'offre à transmettre à un chômeur, tous les discours qu'il lui tient sur la nécessité de se former tombent un peu à l'eau », ajoute cet Alsacien de 60 ans à la bouille ronde.
     
     

    Formations opportunistes

    La formation, c'est justement le nerf de la guerre contre le chômage. C'est dans la formation, en effet, que réside le succès des services de placement scandinaves, et les insuffisances de notre système à cet égard constituent un véritable scandale. Sans cet instrument (dont le financement et le fonctionnement dépendent en grande partie des régions), Pôle emploi a vite fait de se transformer en agence d'intérim au rabais. « Le service public n'a pas vocation à appeler des chômeurs à 22 heures pour leur proposer un boulot de nuit qu'un employeur a posté à 20 heures, comme je l'ai déjà vu ! tonne Gaby Bonnand, ancien président de l'Unedic, et auteur d'un livre sur Pôle emploi (1). Nous devons à tout prix sortir de ce court-termisme. » Un défi qui suppose une meilleure adéquation entre les formations financées par les régions et les besoins des salariés fragilisés.

    Car, on peut le regretter, Pôle emploi propose surtout des formations opportunistes, sur les métiers dits en tension BTP, commerce, aide à domicile, ou des préparations opérationnelles sur des embauches ciblées. Par ailleurs, tout le dispositif de formation des chômeurs est pénalisé par le naufrage de l'Afpa, une association à but non lucratif qui dispense de l'apprentissage aux métiers manuels, avec laquelle Pôle emploi collabore fructueusement depuis des décennies.

    Chômage de masse qui enraye la machine, manque de temps et d'agents pour s'occuper des demandeurs d'emploi et pour dénicher des offres, dégradation du dispositif de formation... A ces problèmes structurels lourds s'ajoutent des aberrations administratives qui pourrissent la vie des chômeurs. A ce titre, l'exemple des « contrôles suspensifs » est édifiant : les malchanceux tirés au sort par Pôle emploi (pour vérifier la régularité de leur situation) sont privés d'indemnités pendant la durée des contrôles. « Les chômeurs ont beau être patients dans leur très grande majorité, c'est le genre d'épreuve qui fait monter la tension au guichet ! » se désole Suzanne, conseillère dans le sud de la France, où les arrêts pour maladie de ses collègues repartent à la hausse...
     

    Fragilité financière

    Dans cette veine kafkaïenne, on peut également signaler l'absurdité des radiations rétroactives : souvent, les ordinateurs biffent les demandeurs d'emploi de leurs listings sans attendre que le chômeur reçoive un courrier motivant sa désinscription, comme le voudrait la loi (2). Un dysfonctionnement qui plonge certains dans une grande fragilité financière certains chômeurs apprenant dix ou vingt jours plus tard que leurs subsides ont été coupés. « Cette pratique nous expose à de nouvelles poursuites judiciaires », prévient Jean-Louis Walter. Mais l'Unedic, par pingrerie, préfère attendre la sanction du Conseil d'Etat pour l'interdire. Bravo, les partenaires sociaux !

    Pour ces petits scandales du quotidien comme pour les problèmes structurels, syndicats et patronats ont du pain sur la planche. Et les discussions qui s'ouvrent ces jours-ci sur la sécurisation de l'emploi seront décisives. « Si on ne nous donne pas plus de moyens, nous allons droit dans le mur », martéle le secrétaire général de l'Unsa Pôle emploi, Dominique Nugues. Rêveur, il se souvient que, pendant la présidentielle, le député PS Alain Vidalies, alors pressenti pour la Rue de Grenelle, n'excluait pas d'aller plus loin que les 10 % des cotisations reversées aujourd'hui par l'Unedic à Pôle emploi, afin de passer le périlleux cap de 2013. Une audace bienvenue qui permettrait peut-être à Maurice K. et à des milliers d'autres de retrouver un travail...

    * Le prénom a été modifié.

    (1) Pôle emploi : de quoi j'me mêle, de Gaby Bonnand, éditions de l'Atelier.

    (2) Les chômeurs en difficulté peuvent s'adresser au site recours-radiation.fr
     
    Quand on y met les moyens, ça fonctionne !

    Jamais Anita, ancienne femme au foyer, ou François, ex-ouvrier agricole, ne se seraient imaginés chevauchant d'énormes compacteurs pour construire une ligne de TGV. Pourtant, dès 2013, ces deux anciens chômeurs, et quelque 900 autres, participeront à la construction de 302 km de voie entre Tours et Bordeaux. La preuve que, lorsque Pôle emploi travaille en bonne intelligence avec les employeurs (ici : Cosea, le consortium d'entreprises chargé de livrer ce tronçon) et avec la région (dans ce cas : Poitou-Charentes, qui a largement financé les formations), la France peut recruter 1 800 personnes dans le BTP en un temps record. Fût-ce pour des missions de deux à trois ans ! « Dès 2011, sur les 3 000 demandeurs d'emploi que nous avions sollicités, plus de 2 000 se sont présentés, raconte avec bonheur Dominique Morin, directeur de Pôle emploi Poitou-Charentes. Mille six cents ont été retenus après une première réunion, et 900 sont ensuite entrés en stage. » Pour les encadrer, Pôle emploi a installé neuf de ses conseillers chevronnés dans les bureaux de Cosea à Poitiers et sur l'ensemble du tracé. Ne manquent plus à l'appel, sur cet énorme chantier, que quelques centaines de coffreurs dotés d'un bon tour de main. A bon entendeur...
     

     Article paru dans le n°807 de Marianne daté du 6 octobre 2012.


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