Monsieur le Ministre,
Vous déclariez l’autre jour que le déclin de la France n’est pas une fatalité. Celui de la Bretagne non plus. Si nous prenons en compte la totalité des paramètres du potentiel agricole breton et la productivité de ses entreprises, ce morceau d’Europe devrait être un modèle de prospérité. Idem pour sa capacité à produire, à grande échelle, une alimentation juste et saine exempte des anathèmes de la malbouffe.
Or ce paradis supposé est en train de virer à l’enfer.
Nous connaissons les raisons de ce fiasco : la Bretagne a été, avec la complicité d’un syndicat prostitué aux lobbies et inféodé aux partis politiques, transformée en usine avicole et porcine pour satisfaire les enjeux financiers d’une industrie sans scrupules environnementaux et l’avidité d’une grande distribution à la limite du cynisme. Cette usine a transformé une partie de ce pays en poubelle. Une fois de plus, ce peuple aura servi de chair à pognon avec la bénédiction du pouvoir.
A quel effondrement assiste-t-on ? A celui d’un système européen qui, de l’éleveur au transformateur en passant par l’abattoir, subventionne des activités alimentaires bas de gamme condamnées à s’aligner sur des marchés soumis à la concurrence déloyale de pays fiscalement aléatoires où les droits sociaux sont foulés au pied. Une aberration dont crève une industrie agroalimentaire à bout de souffle et périmée. Au lieu de persister dans cette voie sans issue, pourquoi la Bretagne ne deviendrait-elle pas le laboratoire expérimental d’un grand plan d’Etat porteur d’une véritable politique agroécologique ?
L’agroécologie, un thème qui vous est cher, partagé par ceux qui savent que plus rien d’autre ne pourra sauver une ruralité vitale pour notre survie. Contre toute attente, tout indique que la péninsule armoricaine, dans sa géographie et son histoire, sa sociologie et son patrimoine, réunit les conditions d’une agriculture productive et non productiviste, rentable et non rentière, nourricière et non financière, dans une logique économique respectueuse de la terre et des hommes.
La situation commande de rassembler les Bretons autour de ce projet.
Il existe un précédent, celui du premier sursaut breton, stimulé par le Celib (Comité d’études et de liaisons des intérêts bretons), qui, à la fin des années 1950, permit à la Bretagne de sortir de son enclavement et de rattraper les retards dus à son exclusion des chantiers nationaux. Un projet auquel l’Ille-et-Vilaine, les Côtes d’Armor, le Finistère et le Morbihan doivent d’avoir pu relever les formidables défis de leur adhésion à la France des trente glorieuses. C’était il y a cinquante ans.
Les Bretons montrèrent alors une détermination sans égale et obtinrent des résultats qui suscitent encore l’admiration du monde économique. Le moment n’est-il pas venu d’initier un nouveau Celib sous la forme d’un programme que l’on intitulerait TAP : Territoire Agroécologique Prioritaire et qui verrait l’application des principes et des méthodes de transformation d’une zone sinistrée en terre d’avenir avec des subsides ne servant plus à colmater des brèches mais à construire des bastions.
Au-delà du mouvement social, les récentes mobilisations populaires sont l’appel d’un peuple décidé à prendre son destin en main. Appel auquel la République française ne peut se contenter de répondre avec des pansements. D’autant que le citoyen Le Foll se trouve à la tête du seul ministère qui peut faire bouger les choses et susciter de l’espoir.
Qui, mieux que l’enfant de Niquelvez, parle la langue de cet espoir ?
Avec le concours du « Parlement de Rennes », libérez la Bretagne des manoeuvres financières qui l’exploitent et des intérêts mercantiles qui la ruinent. Rendez aux paysans et aux ouvriers Bretons leur dignité d’hommes libres. N’y voyez là aucune incantation démago populiste, comme le dénoncent les sirènes de l’intelligentsia libérale socialiste, mais le cri d’une nation qui refuse de décliner sans qu’on lui ait donné les moyens de se battre. Le courage est le meilleur remède à la fatalité.