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    Ma vie zéro déchet, mode d’emploi

    Céline Mouzon 08/07/2019

    Consommateurs, villes, festivals et même multinationales : tout le monde court après le zéro déchet. Est-ce la porte d’entrée pour une transition écologique et sociale ? A certaines conditions.

    Si vous voyez une personne refuser le papier du pain à la boulangerie, sortir un sac en toile au moment des courses, ou préciser au serveur qu’elle ne veut pas de paille dans son verre, il y a de fortes chances qu’elle soit engagée dans une démarche zéro déchet. « Au départ, le zéro déchet consiste à réduire le volume de sa poubelle. Si on va plus loin, c’est ne pas gaspiller. Le mot anglais waste ne distingue pas déchet et gaspillage », indique la chercheuse en marketing Valérie Guillard. Et d’illustrer : « Je peux donner mes vêtements usagés à Emmaüs tout en allant sur l’appli Vinted acheter d’occasion des vêtements dont je n’ai pas besoin : je suis dans le zéro déchet, pas dans le zéro gaspillage. »

    Agir en amont et en aval

    L’association Zéro Waste France (ZWF), elle, défend une vision globale et ambitieuse : « Le zéro déchet, c’est autant agir en aval sur les déchets qu’on n’a pas pu éviter qu’en amont pour éviter de les produire », argumente Julie Sauvêtre, de ZWF. Un habitant de l’Hexagone jette en moyenne plus de 400 kg d’ordures par an. Le chiffre monte à près de 600 kg dès qu’on ajoute les déblais, gravats, déchets verts et tout ce qui va à la déchetterie. Si l’on s’intéresse aux ressources utilisées, il faut compter 14 tonnes par an et par habitant : ce chiffre ne comprend pas que des déchets, mais permet d’intégrer les déchets cachés dans la fabrication des produits. La production mondiale de plastique, destinée pour 40 % aux emballages, augmente en moyenne de 4,5 % par an depuis 1990. Il y a urgence.

                                         A lire Alternatives Economiques n°392 - 07/2019

                                                                 12 idées pour tout changer

    Justement, le zéro déchet est tendance. A Paris, la mairie a lancé une expérimentation d’un an, « Rue Zéro Déchet », engageant les 6000 résidents et commerçants de la rue de Paradis, dans le 10e arrondissement, en partenariat avec Zéro Waste France. Dans un autre genre, Carrefour, l’entreprise de recyclage Terracycle et 25 multinationales (Milka, Coca Cola, Lesieur…) proposent depuis mai une plate-forme d’e-commerce Loop (« boucle » en anglais), où les emballages des produits livrés sont consignables. De ce côté-là, on s’en doute, le mot d’ordre n’est pas la déconsommation.

    Pourquoi une telle vogue ? « Les déchets sont visibles par tout un chacun, contrairement à l’extinction des espèces ou au CO2 dans l’atmosphère. La poubelle, on la voit diminuer. C’est pour ça que le zéro déchet marche si bien », défend Jérémie Pichon, co-auteur de Famille (presque) zéro déchet. L’économiste Isabelle Cassiers attribue le succès des pratiques alternatives de frugalité à la désaliénation qu’elles permettent d’enclencher : en sortant d’une logique de croissance économique, les gens « se réapproprient leur destin. Ils prennent le temps de se poser les questions essentielles des finalités de leur action et du sens de leur vie »1.

    Par quoi commencer ?

     
                                                                                        Déchets

    En finir avec le gaspillage alimentaire 

    « Deux grands secteurs de notre vie sont concernés, détaille Jérémie Pichon, l’alimentation et la consommation de produits et biens d’équipements ». A la maison, nos poubelles contiennent environ un tiers de matières organiques, un tiers d’emballages et un tiers d’objets du quotidien cassés (stylos, paire de lunettes…). Commencez par mettre en place un compost, et la taille de la poubelle diminuera significativement (à moins de ne jamais manger de légumes).

    Pour venir à bout des emballages, munissez-vous de sacs en tissu, bocaux et tupperwares en verre ou boîtes en métal, et achetez en vrac. Certes, même s’il existe désormais 250 magasins proposant du vrac en France, dont la chaîne Day by Day, et ses déclinaisons A La Pesée ou Poids et Mesure dans les villes plus petites, des magasins spécialisés comme Biocoop ou des magasins de producteurs, ce n’est pas encore la norme. Vous risquez de devoir arbitrer entre prendre la voiture pour trouver du vrac ou faire les courses à pied et acheter emballé. Faites au mieux et demandez où est le vrac, pour faire bouger les lignes.

    Reprisez des sous-vêtements troués, empruntez ou louez le barbecue ou la machine à coudre

    Au-delà de l’alimentation, l’enjeu est d’allonger la durée de vie des objets. Reprisez des sous-vêtements troués, empruntez ou louez le barbecue ou la machine à coudre (grâce au porte à porte, à Allô Voisins ou Mutum), louez votre Fairphone à Commown. Faites réparer ou repriser ou fréquentez des ateliers de réparation et des repair cafés.

    Si vous devez acheter, privilégiez l’occasion par le biais de sites de revente ou de recycleries, ou les appareils reconditionnés (grâce à Backmarket ou Remade pour l’électronique). Enfin, acceptez que vous flancherez sans doute lors des grands messes de la consommation que sont les anniversaires ou Noël, surtout si vous avez des enfants.

    Les déchets d’emballage plastique et le gaspillage alimentaire ont tous deux suivi des courbes ascendantes dans les années 1990

    Si les emballages plastique se sont imposés, entend-on parfois, c’est parce qu’ils permettaient de réduire le gaspillage alimentaire notamment lors du transport, et qu’ils se sont adaptés à des normes de consommation qui ont changé dans le sens d’une plus grande individualisation. Une étude de Zéro Waste France et des Amis de la Terre montre pourtant que les déchets d’emballage plastique et le gaspillage alimentaire ont tous deux suivi des courbes ascendantes dans les années 19902, l’accroissement des emballages n’ayant donc pas permis de diminuer le gaspillage alimentaire. Le recours aux emballages pose aussi la question des distances parcourues par les aliments : plutôt que d’emballer pour protéger des denrées qui suivent des chaînes d’approvisionnement complexes et toujours plus longues, mieux vaut revenir à une consommation majoritairement locale.

    Charge mentale

    Pour accélérer la dynamique, l’association Zéro Waste France a lancé l’année dernière le défi « Rien de neuf » qui a touché 20 000 personnes. Reconduit cette année, il a pour objectif d’en attirer 100 000. Cela permet de se motiver et d’échanger des astuces. La chercheuse Valérie Guillard a mené une étude sur les participants, à partir d’un échantillon non représentatif de 100 personnes. Cela donne néanmoins des indications. « Ce sont surtout les femmes qui s’engagent. Ce sont encore elles qui gèrent la maison, les achats pour les enfants, qui voient ce qui entre et ce qui sort dans la poubelle », observe-elle.

    Parmi ses enquêtées, elle relève un fort capital culturel, « bac +3 et plus, bien intégrées dans la société. Ce sont parfois des personnes qui ont atteint un point de rupture, comme un burn-out, et qui ont eu envie de reprendre leur vie en main. Ce ne sont pas des cadres dirigeants, plutôt la catégorie juste en dessous, des gens très bien formés et qui ont réfléchi à la place du travail dans leur vie ». La démarche reste souvent individuelle, alors même que le changement ne pourra venir que d’une impulsion collective (voir zoom). « Une partie des femmes que j’ai interrogées sont très désireuses de se confier, et de ne plus se sentir seules dans leur effort vers le zéro déchet », note Valérie Guillard. « Elles ont souvent peur d’être stigmatisée par leur entourage comme ‘l’écolo de service’ ».  

    Le zéro déchet, est-ce une somme d’écogestes qui exonèrent gouvernements et entreprises de leurs responsabilités ? Nous prenons « nos actes de consommation personnelle pour une résistance politique organisée », dénonce l’Etasunien Derrick Jensen, cofondateur du mouvement écologique radical Deep Green ResistanceVoir « Oubliez les douches courtes » qui pointe la civilisation industrielle comme la source du problème et appelle à des actions de désobéissance civile. Mais il est illusoire de croire en une continuité entre nos gestes quotidiens et une transition digne de ce nom, estime-t-il. « Pour que le collectif bouge, il faut qu’il y ait une demande », rétorque Jérémie Pichon. Il n’empêche, « la démarche n’aura d’impact que si elle est collective », souligne Julie Sauvêtre, de ZWF.

    Pour ce faire, il est possible d’adhérer à une association de plaidoyer (Halte à l’Obsolescence Programmée, Surfrider, Les Amis de la Terre, France Nature Environnement, Greenpeace, le Réseau Action Climat, Zéro Waste France) afin de peser sur la réglementation (obtenir une fiscalité avantageuse pour la réparation) et les choix politiques (la construction d’un énième incinérateur). Un cran plus loin : l’engagement dans des mouvements de désobéissance civile, comme Extinction Rebellion ou Deep Green Resistance.

    Cela pose aussi la question de la charge mentale. Dans une société qui pousse à la consommation, il faut du temps et de l’énergie pour aller à contre-courant, tester différentes recettes de produit vaisselle maison ou jongler entre les magasins pour acheter frais et en vrac. « Je travaille moins, précise Jérémie Pichon. La sobriété volontaire, c’est peut-être travailler moins pour gagner moins pour dépenser moins. Le luxe, c’est d’avoir du temps. »

    La démarche zéro déchet n’est pas une fin en soi, c’est une porte d’entrée pour amorcer un changement de mode de vie.

     

    Le zéro déchet doit permettre de faire des économies. « On a réduit notre budget de 30 % », affirme Jérémie Pichon. Julie Sauvêtre, de Zéro Waste France, indique qu’il faut parfois commencer par investir pour faire des économies : acheter une gourde plutôt que des pacs de bouteilles, une coupe menstruelle plutôt que des protections jetables. Ce sera amorti en quelques mois. « Si on supprime la viande et le poisson, qui sont des industries productrices de déchets, on réduit son budget », poursuit-elle. « Pour les cosmétiques, oui, le zéro déchet coûte plus cher, mais c’est compensé par les produits d’entretien ménager, à base de vinaigre blanc et de bicarbonate de soude. Bref, ce n’est ni une manne économique ni un gouffre financier », conclut-elle.

    Reste une question : à quoi bon acheter en vrac si on prend l’avion quatre fois par an ? La démarche zéro déchet n’est pas une fin en soi, c’est une porte d’entrée pour amorcer un changement de mode de vie. Idéalement, elle conduit à s’interroger sur son logement, ses modes de transport ou son compte en banque qui finance les énergies fossiles.

    • 1. Voir Isabelle Cassiers, « La croissance, une addiction ? », revue Projet n° 362, 2018/1.
    • 2. Voir « Gaspillage alimentaire en Europe », 2018

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