• Marchés contestés.... (Ph. STEINER, M. TRESPEUCH)

    2015    150 p.   24 €

       La mise en marché de produits moralement sensibles, comme ceux touchant à l'intimité des personnes, à leur intégrité, à la santé ou au maintien de l'ordre public, est l'objet de cette réflexion collective qui met en regard neuf cas de «marchés contestés».
    Certains de ces marchés contestés sont effectifs, comme dans le cas du tabac, de la pornographie, des jeux d'argent ou des défunts. Certains sont potentiels dans le sens où les poissons génétiquement modifiés, les données personnelles ou le cannabis sont à la recherche des moyens de rendre acceptables les transactions marchandes. D'autres, enfin, sont bannis car la marchandisation des enfants adoptés ou des organes humains reste moralement inacceptable.
       La tension entre les principes marchands et moraux au coeur des marchés contestés est dans chaque contribution éclairée par l'identification des formes de la contestation morale et des dispositifs juridiques, fiscaux, sanitaires, éthiques, rendant possible ou au contraire irréalisable l'édification d'un marché. La prise en compte de «populations fragiles», qu'il s'agit de protéger du marché, mais aussi de protéger par le marché, émerge dans tous les chapitres comme un élément explicatif essentiel des avancées et des reculs des marchés contestés.

       Philippe Steiner est professeur de sociologie à l'université Paris-Sorbonne, chercheur au GEMASS et membre de l'Institut universitaire de France.

    Marie Trespeuch est socio-économiste au département de sciences sociales d'Orange Labs (SensE) et chercheuse associée à l'IDHES-Cachan. 

    Extrait

       Extrait de l'introduction de Philippe STEINER et Marie TRESPEUCH

        Les plaisirs sexuels, les drogues, le tabac, les défunts, les enfants, les organes humains ou les jeux d'argent, mais aussi les données personnelles ou les poissons génétiquement modifiés sont des marchandises contestées, au sens où leur commercialisation soulève des controverses morales. Celles-ci tiennent à la crainte de voir entrer la logique marchande dans des sphères jugées sensibles, car elles touchent à l'intimité des personnes, à leur intégrité, à la santé publique ou au maintien de l'ordre public. Si certaines de ces marchandises contestées parviennent à se frayer un chemin jusqu'au marché, d'autres sont moins avancées et d'autres encore semblent durablement incapables d'y parvenir. Ces marchés, effectifs, potentiels ou bannis, sont des marchés contestés destinés à la commercialisation de marchandises contestées. En passant de la marchandise contestée au marché contesté, la présente recherche met l'accent sur le fait que la contestation morale favorise, retient ou bloque l'émergence du marché contesté. Ces différents états de la contestation morale s'inscrivent socialement par l'intermédiaire de dispositifs de marchés rendant possibles, suspendant ou interdisant les transactions marchandes. L'articulation entre la contestation morale et les dispositifs de marché devient ainsi le lieu privilégié de l'enquête sociologique.


       Les chapitres qui suivent, traitent successivement de l'adoption internationale, des poissons génétiquement modifiés, du tabac, du cannabis, de la pornographie, des jeux d'argent en ligne, des données personnelles, des organes humains pour transplantation et, enfin, des corps défunts. Un ensemble suffisamment large pour donner à voir la grande variété des marchés contestés, pour élaborer un cadre unifié de réflexion et le mettre à l'épreuve des faits.

    LES MARCHÉS CONTESTÉS

      Avec l'avènement du néolibéralisme, la création de nouveaux marchés est devenue un élément majeur de la vie sociale et politique. Le marché concurrentiel devient comme un idéal à inscrire dans la réalité sociale pour que les transactions, quelle que soit la marchandise sur laquelle elles portent, se déroulent avec le plus d'efficacité. En conséquence, on voit se multiplier les marchés contestés ou marchés sur lesquels sont achetées et vendues des marchandises moralement contestées.

      Jusqu'à présent, la réflexion socio-économique a surtout porté sur les marchandises faisant l'objet de contestation morale, les marchandises contestées. La notion de marchandise contestée (contested commodities) signifie qu'il existe des controverses sur les choses que l'on peut acheter et vendre, ces controverses pouvant aussi bien porter sur l'existence de marchés, que sur des propositions de création de marché (les «marchés de papier») ou tout simplement sur les discours en faveur de leur création. Une avancée de grande portée a été réalisée par Viviana Zelizer qui a montré comment des marchés ont pu émerger en dépit des contestations morales dont les marchandises faisaient l'objet, et comment le droit de la Common law parvenait à fixer des sommes monétaires là où le marché ne pouvait servir de point de repère. De là, la sociologue américaine a conçu un programme de recherche tourné vers le «travail relationnel» permettant de rendre compatibles les attentes des personnes engagées dans des circuits de commerce inhabituels en cela qu'ils mettent en jeu des transactions sur des biens se rapportant à l'intimité. Avec le «travail relationnel», les technologies de l'échange, les équipements et les cadres institutionnels disparaissent de l'horizon de la recherche. Les interactions sociales deviennent alors le centre de la réflexion qui prend une tonalité goffmanienne, tournée vers la construction de l'ordre de l'interaction entre les protagonistes de l'échange.
      
     " On sait, depuis Karl Polanyi notamment, que les marchés ne sont pas des phénomènes naturels, mais des constructions sociopolitiques. Et que tous ne s'imposent pas irrésistiblement. Certains font ainsi l'objet de contestations diverses, leur conférant une configuration particulière et instable. C'est à ce type de marchés qu'est consacré cet ouvrage, du tabac aux organes humains, en passant par la pornographie, les données personnelles ou le cannabis.

      Ce faisant, les contributeurs invitent à être attentif aux spécificités de chaque marché, plutôt que d'utiliser comme trop souvent un singulier trompeur : "le" marché n'existe pas."

      Igor Martinache
    Alternatives Economiques n° 344 - mars 2015


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