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Microcrédit contre pauvreté (Georges Gloukoviezoff, Nicolas Rebière )
Ed. de l'Atelier, 2013, 160 p., 17 euros.
Plus de 44 000 personnes exclues du crédit bancaire ont déjà eu recours au microcrédit personnel. Dispositif mis en place fin 2005, ces prêts d'un montant limité à 3 000 euros et faisant l'objet d'un accompagnement personnalisé n'en sont qu'au stade de l'expérimentation. À quels enjeux répondent-ils ? Quel bilan peut-il en être fait ?
Georges Gloukoviezoff et Nicolas Rebière proposent dans cet ouvrage un large état des lieux du microcrédit, en s'intéressant tant aux effets de ces prêts pour les emprunteurs qu'à la nature des projets et des objets financés, aux profils des personnes ayant sollicité le dispositif, aux types d'accompagnement proposés... Loin de se contenter d'évaluer le microcrédit à partir de la réalisation du projet financé par ce prêt, ils prennent en compte l'ensemble de ses impacts sur la situation des emprunteurs : insertion sociale, insertion professionnelle, situation budgétaire, cohésion familiale, estime de soi...Si les résultats du microcrédit sont très positifs, le dispositif est néanmoins perfectible - au niveau de la qualité de l'accompagnement et du nombre de prêts accordés, notamment -, et il y a encore beaucoup à faire pour qu'il permette l'inclusion bancaire des emprunteurs.
Mais pour cela, il semble essentiel, comme le montre ce livre, de veiller à ne pas faire fausse route en laissant le microcrédit devenir un nouveau produit à commercialiser ou une aide sociale supplémentaire. Conserver son originalité lui permet au contraire de s'inscrire résolument dans le champ de l'économie sociale et solidaire, entre l'État et les marchés financiers. C'est la condition sine qua non pour que le microcrédit reste un outil pertinent de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.
Georges Gloukoviezoff est docteur en économie et spécialiste des questions d'inclusion bancaire des particuliers. Membre de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, il a publié en 2010 L'exclusion bancaire. Le lien social à l'épreuve de la rentabilité (Presses universitaires de France).
Nicolas Rebière est maître de conférences en démographie à l'université Montesquieu-Bordeaux IV et chercheur au Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale (Comptrasec), unité mixte de recherche du CNRS. Ses recherches portent principalement sur les populations en difficulté.Ouvrage publié avec le concours de l'Institut CDC pour la Recherche et de la Caisse des dépôts et consignations.
Depuis 2005, il existe un fonds destiné à garantir l'octroi de microcrédits "personnels", c'est-à-dire facilitant l'insertion professionnelle ou sociale de personnes exclues de fait du crédit. Depuis cette date, 44 000 prêts (d'un maximum de 5 000 euros) ont été accordés à des personnes en situation de pauvreté ou d'exclusion bancaire (surendettement…). Les deux auteurs, spécialistes de ces questions, nous présentent la synthèse de l'étude d'impact qu'ils ont réalisée de ce dispositif.
Pour eux, la réussite est incontestable : ces prêts ont favorisé une hausse du niveau de vie moyen des emprunteurs et une baisse du taux de pauvreté. Tandis que 80 % des emprunteurs estiment que leur sort s'est amélioré ou préservé, à la fois professionnellement et en termes d'insertion sociale, d'estime de soi, de logement, etc. Le tout avec peu d'impayés, puisque le fonds n'a dû intervenir que dans 5,7 % des cas. Cela tient en particulier à l'accompagnement dont ont bénéficié les demandeurs.
Pourtant, ce bilan positif n'a pas réduit l'exclusion bancaire, les banques cherchant avant tout la rentabilité. Passer à la vitesse supérieure implique donc un effort des banques, qui pourraient participer au financement du fonds, lequel pourrait alors subventionner l'accompagnement et ainsi créer un pont "entre solidarité et marché". Un livre qui met à bas bien des idées reçues et montre que finance et cohésion sociale peuvent aller de pair. Sous certaines conditions. Instructif et novateur.
Extrait de l'introduction
Trois mille euros. C'est le montant maximum des microcrédits personnels. Avec cela, les emprunteurs doivent financer un projet d'insertion professionnelle ou sociale. Présentée de cette manière, l'idée que le microcrédit puisse permettre de lutter contre la pauvreté peut paraître déraisonnable. Non seulement le montant est faible, mais en plus, le prêt est destiné à des personnes qui n'ont pas accès au crédit bancaire. De simplement déraisonnable, l'idée peut alors sembler devenir carrément dangereuse. Il faut dire que le contexte ne plaide pas en faveur du crédit. Depuis 2007, des millions de personnes ont été plongées dans la précarité suite à la crise financière provoquée notamment par les excès du crédit immobilier dit subprime à destination de ménages américains à faibles revenus. À cela s'ajoute le fait que plus de deux cent mille ménages déposent chaque année en France un dossier de surendettement car ils ne peuvent plus faire face à leurs dettes. C'est l'un des intérêts du microcrédit personnel que d'inviter à mettre en question les certitudes.
Il faut dire que ce dispositif n'est pas le fruit d'une démarche idéologique mais une réponse pragmatique à un problème précis dans un contexte donné. En effet, au moins trois expériences ont inspiré les caractéristiques du dispositif tel qu'il existe aujourd'hui. La première correspond aux «prêts solidaires» accordés par les Points Passerelle du Crédit agricole du Nord-Est depuis 1997. Ces prêts permettent à des personnes confrontées à des difficultés bancaires et budgétaires de se remettre sur pied grâce, notamment, à un accompagnement personnalisé. En 1999, le Crédit municipal de Nantes a initié l'expérimentation des «prêts stabilité» en partenariat avec le CCAS de Nantes qui en assure l'accompagnement. Enfin, en 2001, suite à l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, le Secours catholique, en partenariat avec le Crédit mutuel Midi atlantique, a mis en place une expérimentation qui est devenue le «crédit projet personnel» pour permettre aux victimes de faire face aux dépenses urgentes en attendant les remboursements d'assurance.
Ces différentes expériences et leurs caractéristiques ont inspiré le dispositif de microcrédit personnel qui se présente de la manière suivante :
- il s'agit d'un prêt d'un montant allant de 300 à 3 000 euros 2 et à taux fixe ;
- il est accordé à des personnes qui n'ont pas accès au crédit bancaire ;
- il implique systématiquement un accompagnement personnalisé de l'emprunteur qui consiste en une évaluation de sa demande et en un suivi tout au long du remboursement du prêt ;
- il implique généralement un partenariat entre un établissement de crédit (la Caisse d'épargne, le Crédit mutuel, etc.) et une association (le Secours catholique, la Croix rouge française, etc.) ou un service social (un CCCAS, une UDAF, etc.).
Toutefois, si ces expériences ont joué un rôle pour fixer les contours du dispositif, les racines du microcrédit personnel sont plus anciennes. Il est parfois considéré comme le petit frère du microcrédit professionnel destiné à financer la création d'activité par des chômeurs. Celui-ci existe depuis plus de vingt ans en France et son succès a assurément facilité la mise en oeuvre du microcrédit personnel. Outre cette proximité, il est plus généralement affirmé que ses racines sont en fait à rechercher du côté des dispositifs de microcrédit ayant vu le jour, au cours des années 1970, dans les pays du Sud et plus précisément en Inde où l'expérience de la Grameen Bank a valu à son initiateur, le professeur Muhammad Yunus, le prix Nobel de la paix en 2006.
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