• Monnaies complémentaires suisses

    Les monnaies complémentaires, une alternative au système bancaire

     
     
    Le Fureai Kippu
    Le Fureai Kippu

    La stabilité économique de la Suisse reposerait sur une monnaie complémentaire ! Un quart des entreprises suisses échange en effet en « wir », une monnaie non-convertible qui pallie depuis 1934 les carences du système bancaire. Cet exemple parmi d'autres fait partie de l'argumentaire de l'économiste Bernard Lietaer en faveur de la multiplication des monnaies complémentaires. Elles seraient une solution plus fiable à la crise actuelle qu'une improbable réforme du système financier.

    En cette période de crise financière, les monnaies complémentaires font de plus en plus parler d’elles. Si elles recouvrent des objectifs divers, une chose est sûre, ces moyens d’échange ne sont pas isolés puisque 5000 monnaies complémentaires existent à travers le monde, contre quelque 150 monnaies officielles. Des intervenants brésiliens, anglais, canadiens et toulousains sont venus présenter certaines de ces monnaies lors du colloque Festifric le 23 février dans les Bouches-du-Rhône. En écho à leurs expériences, l’économiste Bernard Lietaer a défendu la multiplication de ces monnaies complémentaires pour pallier l’incapacité du système financier à répondre aux enjeux sociaux et écologiques actuels. Ironie du sort pour celui qui est un des architectes du système de convergence de la monnaie unique ?

    « Certains pays sont en train de le faire »

    Comme d’autres, ce spécialiste de la finance internationale s’accorde à dire que la crise que nous traversons « est amenée à durer », rappelant que, depuis 1970, le FMI a recensé 425 crises systémiques – dont plus de 70 crises de la dette publique ! Alors que 97 % des échanges financiers quotidiens sont spéculatifs, Bernard Lietaer dénonce un système financier perverti par les taux d’intérêts. Pragmatique, cet ancien haut fonctionnaire de la banque centrale belge doute en revanche de la capacité à le réformer, puisqu’il « est impossible de supprimer les intérêts dans un système où les monnaies sont exclusivement créées par des dettes bancaires. » Autrement dit, il va être difficile de convaincre les banquiers de prêter de l’argent sans taux d’intérêt. Sa solution : contourner le monopole du système bancaire en créant d’autres monnaies dédiées, elles, aux échanges de biens et de services réels.
    « Et certains pays sont en train de le faire », insiste Bernard Lietaer. La banque centrale brésilienne vient ainsi de conduire une étude de dix ans sur les monnaies complémentaires sociales et conclut « qu’elles ne posent pas de problème pour la gestion monétaire du pays et qu’elles résolvent des problèmes qu’on ne sait pas résoudre autrement ».

    Le Brésil et l’Uruguay ont par exemple développé depuis une dizaine d’années une monnaie interentreprises destinée à résoudre le problème de liquidité et de trésorerie des PME. Cette monnaie repose sur des crédits commerciaux garantis. En clair, une PME qui attend d’être payée par un gros client public ou privé peut utiliser ses « factures assurées » comme moyen de paiement pour ces fournisseurs. « Le coût de l’assurance est quasiment nul puisqu’il n’y a pas de risque qu’un État ou une grosse entreprise fasse faillite sur la durée d’un délai de paiement de quelques semaines », explique l’économiste. Ce système dit « C3 » rappelle le système « wir » suisse. Un quart des entreprises helvétiques s’échange en effet une partie de leurs biens et services en passant par une monnaie interne, le wir. Ces échanges représentent en moyenne deux millions d’euros par an.

    Des monnaies émises par des collectivités locales

    Autre exemple de monnaies complémentaires, les « civiques », monnaies locales ou régionales émises par les collectivités locales pour une fonction bien précise. Là encore, le Brésil prime avec l’exemple de la municipalité de Curitiba, capitale de l'État du Paraná. Pour favoriser à la fois le tri des déchets et les transports en commun, la ville rémunère ses concitoyens pour leur activité de tri en ticket de transports publics. Résultat, le tri des ordures et l’utilisation des transports publics ont augmenté. Les économies réalisées sur le tri ont même pu être réinvesties dans le développement des transports en commun.
    Pour répondre à un défi non plus écologique mais démographique, une organisation caritative japonaise s’est penchée sur le problème du vieillissement de la population avec la création d’une monnaie ad hoc, le Fureai Kippu. Un Kippu vaut une heure consacrée à une personne âgée. Les plus jeunes réalisent des heures de ménage, de soins ou de compagnie aux plus vieux et sont rémunérés par la Fondation Sawayaka Welfare via des Kippu, déposés sur un compte électronique. Ils peuvent les épargner en prévision de leurs vieux jours ou les transférer à leur propre parent. Pour Bernard Lietaer, ces exemples montrent qu’ « à la différence de la monnaie classique qui répond à des motivations de compétition et de court terme, les monnaies complémentaires permettent de créer d’autres actions. »

    Certaines monnaies sociales perdent de la valeur avec le temps

    Par définition, ces monnaies complémentaires ne se substituent pas aux monnaies officielles. Cela leur permet d’être légales, ou en tout cas tolérées, à l’instar des monnaies commerciales comme les S’Miles ou les Tickets restaurants. Certaines se revendiquent néanmoins comme des alternatives. Depuis deux ans, la France voit ainsi émerger des monnaies locales qui défendent le développement économique de leur ville ou de leur région. Elles ressemblent en plusieurs points à l’euro, souvent à parité avec la monnaie unique, imprimées sur des billets infalsifiables. Pourtant, l’Abeille de Villeneuve-sur-Lot, la Roue vauclusienne ou le Sol-violette toulousain sont des monnaies anti-spéculatives. Ces monnaies sont dites « fondantes », autrement dit, si elles ne sont pas utilisées, elles perdent de leur valeur au fil du temps.
    En échangeant des euros pour des Sol-violettes par exemple, on pourra se ravitailler dans les magasins adhérents, entreprises qui elles-mêmes paient leurs fournisseurs et une partie des salaires de leurs employées en Sol-violettes. Cette monnaie valable uniquement localement incite à favoriser un réseau local, les entreprises participantes devant en général répondre à des critères écologiques et sociaux. Mais Bernard Lietaer voit plus dans ces initiatives un système de fidélisation des clients à des commerces locaux qu’une véritable transformation de l’utilisation de la monnaie. Le philosophe Patrick Viveret met également en garde contre le risque de connaître un phénomène comparable aux radios libres, « un mouvement ayant une perspective transformatrice qui a fini instrumentalisé par des logiques commerciales classiques ».

    Magali Reinert
    © 2012 Novethic - Tous droits réservés (12/04/2012 )

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