• Nnimmo Bassey, un écologiste en Afrique

     

    Le 15-09-2015

    Nnimmo Bassey : être écologiste en Afrique aujourd’hui 

    Par Andrea Paracchinipour AlterMondes

    A quelques semaines de la COP21 à Paris, Altermondes a rencontré Nnimmo Bassey, grande figure du mouvement écologiste africain, Prix Nobel alternatif en 2010. Dans cet entretien très riche, il fait le lien entre droits humains et justice environnementale, rappelle à quel point le combat écologiste au Sud est un combat pour la survie et invite la société civile mondiale à prendre le leadership de la lutte contre le changement climatique.

    Cette interview a été réalisée le 26 août, en marge de l’Université d’été d’Attac Europe, à Marseille.

    Développement, accès à l’éducation, éradication de la pauvreté et de la corruption… la liste des priorités pour le continent africain est longue. Quelle place pour l’écologie dans un tel contexte ?

    Aujourd’hui directeur de la Health of Mother Heart Foundation, ancien président des Amis de la Terre International, ce Nigérian de 57 ans est sans doute l’une des figures les plus emblématiques du mouvement écologiste africain.

    Nnimmo Bassey : Les questions environnementales en Afrique sont un sujet compliqué. Parce que tout affecte notre environnement : les politiques économiques, les activités liées à la mondialisation, la coopération internationale, la dépendance aux énergies fossiles. Tout cela a un impact sur la manière dont nous considérons la question environnementale. Mais en fait, nous n’avons jamais considéré cette question comme isolée. Elle est reliée à beaucoup d’autres enjeux tout en étant centrale dans nos vies, aussi bien d’un point de vue individuel que collectif. C’est un sujet très important, même au niveau du discours politique. Quand on regarde en arrière, de la période pré­-coloniale à la période post­-coloniale, la plupart du temps, on constate que ce qui provoque les dommages environnementaux vient de l’extérieur. C’est ce qui rend très pertinents les concepts de « défense environnementale », « défense écologique » et « justice environnementale ».

    Comment êtes-vous devenu activiste pour l’environnement ?

    N. B. : J’ai commencé ma vie de militant en luttant pour les droits humains. A cette époque, le Nigeria, mon pays, était sous régime militaire. C’était très simple de dire « nous ne voulons pas de régime militaire, nous voulons la démocratie ». C’était une campagne dangereuse mais simple : il n’y avait pas besoin de faire beaucoup de recherche pour se convaincre que le régime militaire était mauvais. Mais ensuite, chemin faisant, nous avons réalisé que ce dont on parlait n’était pas seulement une question de droits de l’Homme mais aussi une question de justice environnementale. Pourquoi des gens étaient mis en prison, des communautés bombardées ou tuées ? Parce qu’ils voulaient avoir leur mot à dire sur ce qui se passait dans leur environnement. C’est à partir de ce moment­ que j’ai décidé de dédier ma vie à me battre pour la justice environnementale. Et cela fait plus de 30 ans.

    Comment arrive-t-on à motiver les personnes à s’engager pour l’environnement en Afrique, étant donné que les pouvoirs en place dans de nombreux pays mais aussi les multinationales répriment souvent durement toute forme de contestation ?

    Retrouvez le traitement en infographie qu’Altermondes à consacré au rapport de Global Witness.

    N. B. : De nos jours, à part peut-être dans les pays du Nord, c’est dangereux d’être un militant environnementaliste. La plupart des dommages environnementaux contre lesquels nous nous battons sont liés au fait de vouloir exploiter toujours plus de ressources pour maintenir un niveau de consommation élevé. Les zones les plus rentables pour investir du capital sont des endroits comme l’Afrique. On y trouve des dommages causés par l’exploitation des mines, la déforestation, l’accaparement des terres, la conversion des terres agricoles en plantations d’agrocarburants, les fuites de pétrole… Lorsque tu commences à te battre contre ces dommages, le système réagit. Je viens de lire un rapport de Global Witness : en 2014, on estime que chaque semaine, deux militants perdaient la vie en raison de leur mobilisation. Les communautés qui se trouvent en première ligne sont tout à fait conscientes que c’est une question de vie ou de mort. Mais pour elles, il n’y a pas d’entre-deux, il faut choisir son camp : soit tu te bats pour la vie, soit tu permets la destruction et tu meurs. C’est ainsi. Etant donné la nature irrémédiable du conflit, il est très simple de mobiliser les gens. Ils ne se battent pas pour passer leur temps, pour le plaisir. Non, ils combattent pour survivre. C’est aussi sérieux que cela.

    Quand on regarde ce qui se passe en Afrique à propos des agrocarburants et de leur impact sur l’accaparement des terres, on a l’impression que le développement des énergies renouvelables sur le continent a pris la mauvaises direction…

    N. B. : Si nous voulons sauver la planète d’un réchauffement climatique dramatique, les combustibles fossiles doivent rester sous terre. La « fossilisation » de la civilisation est en train de tout détruire et de dégrader le climat. Dans le Delta du Niger, où l’on extrait du pétrole depuis une cinquantaine d’années, on assiste à une dégradation constante de l’environnement : disparition des moyens de subsistance, de l’eau potable, perte de terres cultivables. Cette activité a beau rapporter des revenus importants au gouvernement, mais elle n’améliore pas la vie des Nigérians car elle empêche le développement d’activité économique pour les populations locales. Le plus important en Afrique demeure cependant l’accès à l’énergie. Car on pourrait avoir l’énergie la plus renouvelable qui soit, mais si personne n’y a accès, c’est tout aussi problématique. Les Africains préfèrent avoir une énergie propre, mais encore faut-il qu’ils y aient accès. Or, la tendance est à la privatisation des sources d’énergies dont le contrôle passe du public aux investisseurs privés. Et on revient ainsi à des questions de manque de démocratie, de transparence…

    Est-ce que le mouvement écologiste fait front commun aujourd’hui à l’échelle du continent africain ?

    N. B. : Un continent divisé fait l’affaire des responsables des transgressions car ainsi il n’y a pas de voix forte pour leur résister. Progressivement, nous en venons à créer des alliances sur le continent, parce que les défis que nous rencontrons sont les mêmes. Sur les OGM, il y a l’African Food Sovereignty Alliance, sur les questions de justice climatique, OilWatch Africa, qui est mobilisé contre les combustibles fossiles. Ces alliances rassemblent des gens de tout le continent partageant la même philosophie, les mêmes idées, les mêmes objectifs. Il s’agit de mouvements venant de la base, pas des leaders. La base est plus unie que les leaders.

    Comment agir contre des multinationales qui font des dégâts sur place, quand les décisions sont prises à des dizaines de milliers de kilomètres de distance ?

    N. B. : C’est l’un des grands défis que nous devons relever. Comment attaquer des entreprises qui ont autant de filiales, qui sont enregistrées dans différents endroits, sous différents noms

    ? Je considère qu’il faut agir sur deux fronts. D’abord la solidarité internationale, à travers des actions dans les pays où ces firmes ont leur siège. Mais aussi des campagnes communes menées par les militants présents dans les zones où ces entreprises mènent leurs activités, partout dans le monde. Ensuite, il faut des poursuites judiciaires. C’est déjà arrivé : Shell a été poursuivie devant la justice néerlandaise par des agriculteurs nigérians. La cour a reconnu que Shell était responsable de ce que fait sa filiale au Nigeria. La même chose s’est produite au Royaume­ Uni, où Shell a été reconnue coupable et a accepté de payer des dommages et intérêts pour des abus politiques dans l’Ogoniland, au Nigeria. C’est une manière d’affirmer que les grandes entreprises ne peuvent pas se cacher derrière leurs filiales. Cela concerne aussi bien l’Afrique que le reste du monde, car les entreprises sont devenues si puissantes, qu’elles ont pris en main toutes les institutions. Même les présidences des pays les plus riches sont devenues les porte­-parole des multinationales. Ils les écoutent plus qu’ils n’écoutent les citoyens, et ils se battent pour les intérêts des entreprises plus que pour l’intérêt des citoyens. C’est à cette mainmise sur les institutions que nous devons résister collectivement.

    Qu’attendez-vous de la COP21 qui va bientôt s’ouvrir à Paris ?

    N. B. : Depuis longtemps les conférences sur le climat ont dérivé. En 1997 à Kyoto, une grosse erreur a été commise lorsque les mécanismes de marché ont été acceptés dans le plan de lutte contre le réchauffement climatique. Le coup de grâce, ce qui a presque enterré cette lutte, est arrivé avec l’accord de Copenhague, qui plutôt que d’exiger des engagements fermes en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, a laissé la place à des objectifs volontaires. Sans compter la compensation carbone, qui permet aux pollueurs qui peuvent payer, de continuer à polluer en Europe sous prétexte qu’ils plantent des arbres en Afrique. Ce n’est pas de cette façon qu’on luttera contre le réchauffement climatique. A Paris, les leaders vont s’auto-congratuler alors que le monde risque d’être dans un état pire qu’avant parce qu’ils n’ont pas été capables de faire ce qui doit être fait : réduire les émissions à la source, arrêter la compensation carbone et le marché des émissions carbones, laisser les combustibles fossiles sous terre. On fixe des objectifs à la fin du siècle, quand la planète sera rôtie, brûlée. C’est quoi cette logique ? Je ne pense pas que la COP21 fera mieux que les précédentes. Mais Paris a la possibilité de donner un espoir au monde, si les citoyens de ce monde se mobilisent, proposent des alternatives et prennent le leadership dans la lutte contre le réchauffement climatique


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