• Notre-Dame de Paris nous crie la souffrance de notre civilisation

    Notre-Dame de Paris nous crie la souffrance de notre civilisation

    Notre-Dame de Paris martyrisée par le feu, notre cœur souffre, et c’est un grand symbole qui nous crie la souffrance de notre société tout entière. Entendrons-nous?

    https://www.huffingtonpost.fr/entry/notre-dame-de-paris-nous-crie-la-souffrance-de-notre-civilisation_fr_5cb8c362e4b032e7ceb62805?ncid=other_huffpostre_pqylmel2bk8&utm_campaign=related_articles19/04/2019

    AFP

    Depuis lundi, j’écoute les uns et les autres utiliser à nouveau ce mot ancien de “symbole” à propos de la cathédrale de l’île de la Cité: “symbole de la Chrétienté”, “symbole de la France”, “symbole de tout ce qui nous unit”, “notre cathédrale commune”, etc. Curieux de voir comment, dans ce type de moment, nous nous rappelons soudain qui nous sommes et d’où nous venons. Curieux que le vieux fond religieux de notre pays revienne ainsi affleurer si spontanément à la surface de nos consciences, à moitié assumé seulement, et comme si nous n’avions rien oublié… Et pourtant c’est bien étrangement cet oubli qui me frappe en cet instant même où tout le monde ou presque n’a plus que ce mot de symbole à la bouche. 

    Car du symbole en question nous semblons tous à peu près incapables de voir la signification, et derrière les grands mots solennels de “notre histoire” et de “notre patrimoine”, une fois de plus c’est le vide. 

    Qu’est-ce qui crève les yeux dans cette Notre-Dame qui brûle? Celui qu’on brûle dit une vérité qu’on ne veut pas entendre.

    Qu’est-ce qui crève les yeux, en effet, dans cette Notre-Dame qui brûle? Qu’est-ce qui est sans doute trop évident, en matière de symbole, pour que nous soyons capables de le voir et de l’entendre? La destruction par le feu a toujours correspondu dans notre histoire au martyr des innocents –brûlés pour hérésie, brûlés par l’obscurantisme, brûlés par temps d’infamie et de malheur. Celui qu’on brûle dit une vérité qu’on ne veut pas entendre. Il crie sur son bûcher, et toujours comme le templier Jacques de Molay à Philippe le Bel c’est pour hurler un avertissement, voire une malédiction. Sachons raison garder mais si on veut vraiment parler symbole, comment échapper à cette question même: de quoi donc le feu de Notre-Dame nous avertit-il? 

    Et si l’on veut aller plus loin, considérons ce dont Jésus-Christ lui-même au centre de la cathédrale a toujours été le symbole, au sens le plus puissant du terme. J’ai grand scrupule à le rappeler, moi le philosophe français musulman, à ma nation de culture chrétienne. Mais comme personne, ces jours-ci, ne semble décidé à convoquer ce souvenir, je m’y résous. Le Christ a souffert pour racheter les péchés du monde. Son martyr sur ce bûcher de clous et d’épines que fut la Croix symbolise, c’est-à-dire exprime, l’amour par lequel il prend sur lui le mal et la souffrance de l’humanité. Or qu’est-ce qui caractérise le plus terriblement notre société actuelle, notre civilisation actuelle, si ce n’est justement la souffrance? La souffrance de la nature mise en danger de mort par notre folie. La souffrance de la misère, des migrations, des haines, causée par la même folie d’un monde livré à l’Argent. 

    Une fois de plus, le Christ vient donc prendre sur lui notre souffrance. Et par là même nous adresser un message, que dis-je, une prière: “Changez! Changez avant qu’il ne soit trop tard!” Mais alors même que sa prière dans les flammes vient nous atteindre, et qu’elle cherche désespérément nos oreilles devenues sourdes, nos intelligences devenues incapables de comprendre le symbole, voilà que… l’Argent, lui, a entendu. Il a compris le danger pour son pouvoir. Aussitôt, les Fortunes se précipitent: les marchands du Temple veulent reconstruire le Temple, pour qu’on continue d’adorer leurs veaux d’or… Rien de nouveau sous le soleil, dirait l’Ecclésiaste.

    Nos intelligences devenues incapables de comprendre le symbole, voilà que… l’Argent, lui, a entendu. Il a compris le danger pour son pouvoir. Aussitôt, les Fortunes se précipitent: les marchands du Temple veulent reconstruire le Temple, pour qu’on continue d’adorer leurs veaux d’or.

    Continuons encore un peu notre exploration symbolique. La cathédrale Notre-Dame n’a pas brûlé à n’importe quel moment du calendrier chrétien. “Il y a là des signes pour ceux qui réfléchissent”, comme le souligne souvent le Coran. Pardon pour l’étrangeté peut-être ici de la référence. Mais tout ce qui monte converge, écrivait Teilhard de Chardin. Donc, à quelle date sommes-nous? Dans la Semaine Sainte. Cette Semaine conduit à Pâques, qui commémore la Résurrection du Christ. Quel symbole, là encore? Quelle promesse peut nous tendre un événement tragique mais qui précède une résurrection? Quelle espérance peut-il nous communiquer bien que nos esprits soient si inquiets et nos cœurs si meurtris? 

    J’entends déjà ceux qui s’écrieront à la lecture de cet article: “Retour de la superstition!” C’est que parmi les laïques dont je suis, certains sont hélas des ayatollahs aussi dogmatiques et méchants que jadis les Inquisiteurs religieux. Ils veulent bien qu’on parle de symbole mais à condition que celui-ci ait été au préalable dûment dévitalisé de toutes ses significations majeures, de toutes ses interprétations puissantes, de tous ses questionnements les plus dérangeants, que nos vieilles cultures religieuses avaient su véhiculer jusque-là… Nous ne voulons plus parler du symbole que pour nous flatter, nous mettre la larme à l’œil, nous rassembler illusoirement, nous rassurer à bon compte. 

    Mais dans le fond nous refusons le symbole. Nous ne voulons plus comprendre. Nous ne voulons plus entendre. Nous ne tolérons plus d’être contredits -nous qui a priori sommes si démocrates. Surtout, nous ne voulons plus que tout ce que le symbole nous dit nous renvoie à nous-mêmes. Naguère encore, lorsqu’un tel événement tragique se produisait, la bonne âme s’écriait “Seigneur, qu’est-ce qui nous arrive?”. Par ce simple “nous”, elle exprimait la conscience que ce type d’événement est quelque chose dont nous ne sommes pas simplement les spectateurs horrifiés: il vient nous parler de nous-mêmes, il nous renvoie à nous-mêmes, il nous parle de l’état du monde et de la responsabilité que nous en portons. Si j’étais Zola, je dirais: il nous accuse. 

    Si j’étais Zola, je dirais: l'événement nous accuse. En l’occurrence, cette croix de feu filmée lundi par le drone nous parle de l’équilibre même de la planète qui est aujourd’hui si gravement ravagé. La Croix a toujours été ce symbole de l’équilibre.

    En l’occurrence, cette croix de feu filmée lundi par le drone nous parle de l’équilibre même de la planète qui est aujourd’hui si gravement ravagé. La Croix a toujours été ce symbole de l’équilibre, entre le haut et le bas, le Ciel et la Terre, et l’homme au centre de la Croix est le responsable de cet équilibre: c’est à lui de veiller par la contemplation et l’action juste au Bien, au Vrai, au Juste et à la Beauté du monde. Où en sommes-nous collectivement de cette responsabilité spirituelle, qui est aussi morale, sociale, politique? A peu près tous les équilibres sont rompus. La maison planétaire brûle, la Pachamama brûle, le cœur des Justes de toutes les Nations brûle face au règne de l’Argent. 

    Alors, je serais certes heureux qu’une souscription géante manifeste concrètement l’attachement de notre peuple français à sa cathédrale, et qu’il exprime l’unité laïque d’une nation formée d’athées, d’agnostiques et de croyants fraternels. Moi le musulman français, je suis attaché à cette cathédrale infiniment davantage qu’à n’importe quelle mosquée du monde. 

    Le feu de la cathédrale ne nous a pas rappelé notre “maison commune”, il nous a rappelé notre destruction de la maison commune, et il nous a appelé à prendre enfin la résolution de sa reconstruction.

    Mais de grâce si nous voulons parler symbole, allons jusqu’au bout de l’affaire. Arrêtons de refouler encore et encore ce que nous ne voulons pas regarder en face: notre responsabilité terrible dans la dévastation de la planète et des sociétés par un libéralisme devenu complètement fou et hégémonique; cette destruction généralisée de tous nos liens avec la nature, avec l’autre, avec nous-mêmes, que nous sommes incapables d’enrayer et qui nous conduit à la catastrophe. Nous détruisons tout ce qui nous est vital et commun. Le feu de la cathédrale ne nous a pas rappelé notre “maison commune”, il nous a rappelé notre destruction de la maison commune, et il nous a appelé à prendre enfin la résolution de sa reconstruction. Voilà ce que le Christ et Marie nous ont crié. Ils nous ont prié, par leur martyr renouvelé, de réagir tant qu’il en est encore temps. 

    Il ne s’agira donc pas seulement de récolter un milliard d’euros. Il y a des choses que l’Argent ne peut pas acheter. Il y en a d’autres qu’il peut encore moins racheter.


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