Coût du mécénat culturel : presque un milliard d’euros par an
L’avalanche de générosité dont bénéficie la cathédrale parisienne intervient à un moment où les allégements fiscaux liés au mécénat culturel sont de plus en plus contestés. Le groupe LVMH et son PDG Bernard Arnault, dont la fortune est désormais estimée à 77,2 milliards d’euros, sont aujourd’hui l’objet d’une plainte, inspirée par un rapport au vitriol de la Cour des comptes, pour avoir abusé du dispositif lors de la construction de la Fondation Louis Vuitton. Inaugurée en 2016 dans le bois de Boulogne, ce lieu avait été présenté par Bernard Arnault comme un « cadeau à la France ». Selon les calculs de la Cour des comptes, son budget total de 790 millions d’euros a donné lieu à des déductions fiscales de 518 millions pour diverses sociétés du groupe du milliardaire. Les magistrats se sont aussi étonnés publiquement des factures hors normes affichées par LVMH et le maître d’œuvre du chantier, Vinci (lire notre article).
Une « Pinault Collection » doit ouvrir cette année dans le bâtiment de la Bourse du commerce, dans le 1er arrondissement de la capitale, où la famille Pinault exposera les œuvres acquises. Les Pinault, propriétaires du géant du luxe Kering – actuellement au centre d’un scandale d’évasion fiscale lié à sa filiale Gucci [3] – ont assuré qu’ils ne chercheraient pas à faire valoir leurs droits à une ristourne fiscale. L’opération n’en a pas moins été contestée, puisque la ville de Paris a acheté le bâtiment 86 millions d’euros, pour le louer ensuite à la famille milliardaire ses 3000 m2 pour seulement 60 000 euros par an (plus une redevance initiale de 15 millions d’euros). Une location quasiment cadeau au vu du prix de location moyen dans cet arrondissement [4].
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La Cour des comptes estime que les réductions d’impôt liées au mécénat coûtent au total presque un milliard d’euros par an au fisc français, la plus grosse partie étant trustée par une poignée de grosses multinationales qui y voient une occasion de valoriser leur image et de faire oublier les scandales ou leurs impacts sur la planète (lire notre enquête sur le mécénat de Total).
Derrière la controverse fiscale, les dons promis pour Notre-Dame posent en filigrane une question supplémentaire, concernant l’avenir du monument lui-même. Un autre aspect souvent critiqué de la législation française sur le mécénat est la question des « contreparties ». En échange de leur générosité, les donateurs obtiennent, dans certaines limites, des avantages en nature comme des entrées gratuites pour leurs employés, ou encore la mise à disposition des lieux pour des événements.
Le château de Versailles illustre cette démarche : les grandes marques de luxe – celles des milliardaires qui se pressent aujourd’hui au chevet de la cathédrale de Paris – ont été les premières à en profiter. Elles y multiplient les opérations marketing, les séances de photos et les réceptions [5]. Le château avait aussi accueilli en 2016 l’anniversaire organisé pour sa femme par le PDG de Renault, Carlos Ghosn, dans le cadre d’une convention de mécénat entre Renault et l’établissement public. Une enquête de l’ Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières a été ouverte en France suite à l’incarcération de Ghosn au Japon.
Demain, une bâche publicitaire géante sur Notre-Dame ?
Le recours à des bâches publicitaires géantes – elles aussi l’apanage des marques du luxe – sur les chantiers des monuments parisiens fait aussi débat. L’association Résistance à l’agression publicitaire a même déposé plainte pour « violation de sépultures » pour dénoncer la bâche qui a entouré plusieurs mois la colonne de Juillet, place de la Bastille (la colonne est bâtie sur une nécropole abritant les morts de l’insurrection de juillet 1830). La perspective de publicités sur le chantier de Notre-Dame risque de susciter les envies.
Notre-Dame est le monument le plus fréquenté de la capitale, avec environ 13 millions de visiteurs par an. Placée sous l’égide du Centre des monuments nationaux, elle échappait encore à la logique commerciale de « monétisation » du patrimoine qui prévaut aujourd’hui à Versailles et, dans une moindre mesure, au Louvre. L’importante rénovation qui s’annonce pourrait changer la donne.
Olivier Petitjean
Notes
[1] Voir le point des dons annoncés par Europe1.
[2] La déduction d’impôt ouverte par le mécénat est plafonnée à 50% de l’impôt dû en France.
[3] Lire à ce sujet les articles de Mediapart.
[4] 30 euros/m2 par mois en moyenne, soit 90 000 euros par mois pour un bâtiment de ce type, soit plus d’un million par an.