A l’issue de 7 mois de recherche, des trouvailles… et beaucoup d’incertitudes
Proposée par le WWF en mai 2011, l’idée d’un audit des coûts du nucléaire a enchanté Nicolas Sarkozy, qui y voyait une occasion en or de démontrer, à l’approche de la période électorale, le caractère prétendument bon marché de son énergie préférée. L’étude a donc démarré en juillet 2011, pour une publication fin janvier 2012 : un délai très restreint pour un thème aussi vaste et aussi épineux… La Cour des Comptes n’était cependant pas totalement ignorante des sujets étudiés : cette juridiction indépendante avait déjà publié des rapports sans concessions sur les coûts du démantèlement et de la gestion des déchets.
Contredisant les espérances de Nicolas Sarkozy, le travail de la Cour des Comptes a donc permis d’épingler certains coûts impressionnants ou surprenants. Citons par exemple celui de la recherche dans le nucléaire, depuis le début du programme nucléaire, qui s’élève à 55 milliards ; celui de l’accompagnement des convois de déchets nucléaires, qui est de 4,5 millions d’€ par an (dont 4 restant à la charge des gendarmeries) ; celui, ridiculement bas, de l’assurance en cas d’accident, qui s’élève actuellement à 90 millions d’€ à la charge de l’exploitant alors qu’une catastrophe comme celle de Fukushima se chiffre au moins en centaines de milliards d’€… Toutefois, dans la plupart des cas, le manque de temps, le secret qui entoure les données, la mauvaise volonté des industriels, ou tout simplement l’impossibilité de prévoir l’avenir, ont surtout mené la Cour des Comptes à souligner les flous et incertitudes.
Déchets et démantèlement : même minimisée, la note est salée !
Sans surprise, la gestion des déchets est un puits sans fond rempli de brouillard. Celle des déchets de faible et moyenne activité s’élèverait à 23 milliards d’€ - un chiffre fourni par EDF, que la Cour des Comptes prend avec prudence. Quant à l’enfouissement des déchets les plus dangereux (dont les combustibles usés), il atteindrait 14 milliards selon EDF… et 36 selon l’ANDRA (Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs) ! Par ailleurs, la définition française des déchets nucléaires étant très restrictive, certaines matières ont été exclues de l’évaluation par la Cour des Comptes, qui classe leur prise en charge parmi les « questions sans réponses ». Pas de chiffrage du coût de gestion des 260 000 tonnes d’uranium appauvri qui s’entassent sur différents sites, ni des 82 tonnes de plutonium stockées à La Hague : la Cour considère qu’elles pourraient être réutilisées dans un futur hypothétique. Pas de calcul non plus pour les 50 millions de tonnes de résidus miniers qui continuent de polluer les anciens sites d’extraction d’uranium…
Démantèlement dément. Les dépenses pour le démantèlement des 58 réacteurs français en fonctionnement sont estimées par EDF à 18,4 milliards d’€, sur la base d’un calcul que la Cour des Comptes refuse de cautionner. Ce coût ne prend pas en considération celui de la dépollution des sites. Par ailleurs, la Cour des Comptes s’est livrée à une comparaison instructive avec d’autres pays. En extrapolant aux 58 réacteurs français les sommes provisionnées par des pays étrangers, on obtient à chaque fois des coûts supérieurs, voire trois fois plus élevés si on retient les méthodes de calcul utilisées en Allemagne. Notons d’ailleurs que l’évaluation de la Cour des Comptes n’a pas inclus la Suisse, qui se prépare à payer 17,5 milliards d’€ pour le démantèlement de… 5 malheureux réacteurs. Doit-on en déduire que les Français sont très très forts… ou qu’EDF minimise ces charges de manière éhontée ?
Qui paiera la fin de vie du nucléaire ? Les coûts annoncés ont beau être en deçà de la réalité, les industriels ne disposent pas des sommes suffisantes pour y faire face. Sur les 79 milliards d’€ estimés officiellement pour le démantèlement et la gestion des déchets, seuls 38 milliards sont provisionnés, soit moins que la moitié. Pour trouver les sommes disponibles, EDF n’a pas hésité à recourir à des tours de passe-passe aux limites de la légalité, par exemple en faisant passer des actifs de RTE dans le fonds destiné au démantèlement. Surtout, les provisions d’EDF sont particulièrement vulnérables aux aléas économiques : leur pérennité est tributaire d’une rentabilité suffisante des placements financiers d’EDF, qui ont déjà beaucoup souffert de la crise économique de 2008. Il devient évident que l’État – et donc les contribuables – devront voler au secours des industriels…
Le nucléaire de demain, un fardeau
Très cher EPR. Alors que le solaire et l’éolien voient leurs coûts de production diminuer au fur et à mesure que leurs filières se développent, chaque nouveau réacteur nucléaire coûte plus cher que le précédent. C’est particulièrement vrai pour l’EPR, qui explose tous les records avec un coût du MWh compris entre 70 et 90 €.
La prolongation des réacteurs existants entraînera également des coûts impressionnants. Selon EDF, il serait nécessaire d’investir pour cela 50 milliards d’€ sur quinze ans, et 55 milliards si l’on intègre les dépenses prévues pour améliorer la sûreté suite à Fukushima. Cette évaluation, réalisée alors que les devis des travaux à effectuer ne sont pas encore connus, est considérée comme très optimiste par l’Autorité de Sûreté Nucléaire elle-même. Néanmoins, elle porte le coût de production du MWh nucléaire à 54 €, soit bien plus que son prix de vente actuel (42 €). Il serait ainsi nécessaire d’investir au moins 3,7 milliards d’€ par réacteur.
Les alternatives deviennent compétitives. La Cour des Comptes ne s’est pas lancée dans une comparaison des différentes énergies, une opération qui s’avèrerait pourtant instructive. On peut ainsi souligner que l’électricité éolienne, avec 80 €/ MWh, devient plus compétitive que celle de l’EPR. Évoquons également d’autres recherches qui ont déjà montré que le prix de production du KWh photovoltaïque est maintenant inférieur à celui du nucléaire aux États-Unis. On se souviendra par ailleurs qu’en 2006, l’étude « Un courant alternatif pour le Grand Ouest » avait démontré que si on avait consacré les 3,3 milliards d’€ que devait alors coûter l’EPR de Flamanville aux alternatives énergétiques, on aurait pu répondre deux fois mieux aux besoins en énergie et créer 15 fois plus d’emplois. Que serait-il maintenant possible de réaliser avec les 3,7 milliards d’€ dévolus à chaque réacteur ?
L’heure des choix est venue
Ce rapport ne peut donner qu’une évaluation basse des coûts du nucléaire, qui minimise une grande partie des dépenses à venir. Il ne nous dit pas quel devrait être le « vrai » coût de la sûreté (si, par exemple, on mettait fin à la sous-traitance généralisée, on effectuait tous les travaux nécessaires…). Il n’a pas pu évaluer, non plus, à quel prix se fait l’exploitation des centrales et des mines d’uranium, en intégrant les préjudices sanitaires et environnementaux pour les salariés et les riverains, ainsi que pour les peuples dont les territoires sont dévastés par l’extraction de l’uranium.
Toutefois, même minimisés, les coûts annoncés sonnent comme un signal : le mythe du nucléaire pas cher s’effondre. Au vu des dépenses à venir, il faut s’attendre à une hausse importante du prix de l’électricité (EDF lui-même plaide pour une augmentation de 30 %), et il deviendra grotesque d’imputer cela aux renouvelables.
À la veille des élections présidentielles, le statu quo n’est plus possible et deux choix se présentent maintenant aux décideurs. Soit, à l’instar de Nicolas Sarkozy, ils choisissent de prolonger l’exploitation des réacteurs existants au-delà de 40 ans, en engloutissant des milliards d’€ dans un insuffisant rafistolage des centrales. Ils assumeront alors les risques bien réels inhérents au vieillissement du parc et choisiront d’exposer la population à la menace d’un accident dont les coûts pourraient dépasser ceux de la construction du parc nucléaire. Soit ils amorceront au plus vite la transition vers d’autres énergies, infiniment moins polluantes, créatrices de centaines de milliers d’emplois, et dont les coûts, eux, ne cessent de baisser. Des scénarios de sortie du nucléaire existent, il n’y a plus qu’à les mettre en oeuvre.