• Pesticides: on peut s'en passer!

    Pesticides : on peut s'en passer ! Pour une transition agricole "biologique"

     04 février 2016

    Christophe Magdelaine Christophe Magdelaine / notre-planete.info

    marche bio La Reunion   Marché BIO Le Karo sur l'île de la Réunion  © C. Magdelaine / notre-planete.info

    Mardi 2 février 2016, France 2 a diffusé une enquête édifiante du magazine Cash Investigation montrant à nouveau les effets désastreux des pesticides sur la santé publique. Or, la France est le 1er pays utilisateur de pesticides en Europe. Les solutions existent déjà pour s'en passer, il ne manque que la volonté.

    Décidément, la France pavoise beaucoup mais agit peu. Une nouvelle fois, notre pays se démarque par une gestion catastrophique de son environnement. En moyenne, près de 65 000 tonnes de pesticides purs sont épandues chaque année sur notre territoire. Aujourd'hui, l'Hexagone est le premier consommateur de produits phytosanitaires en Europe, mais aussi le 4e au niveau mondial ! Triste record.

    Résultat, les milieux sont contaminés : l'eau, les sols, l'air et bien sûr une grande partie de notre alimentation et notre santé en pâtit de plus en plus. Pourquoi ? Pour l'agro-business, pour faire de l'argent et asservir le paysan, c'est tout. En effet, les pesticides, hérités des armes chimiques de la première Guerre Mondiale, ne sont pas indispensables pour l'agriculture, la preuve : notre héritage agricole multi-millénaire et les plus récentes productions BIO qui s'en passent volontiers.

    Or, dans un contexte de crise agricole, un nombre croissant d'exploitants souhaite abandonner l'usage des pesticides et des engrais chimiques pour passer notamment à l'agriculture biologique(AB), qui leur offre davantage de perspectives économiques et donne un véritable sens à leur travail.

    Agriculture biologique : une filière responsable qui n'est pas assez soutenue

    "Malheureusement, les aides aux changements de pratiques, et en particulier à la conversion à l'agriculture biologique, sont aujourd'hui insuffisantes pour accompagner tous ceux qui veulent franchir le pas. Les sommes allouées sur la période 2015-2020 pour la conversion par l'Etat et les Régions seront dès cette année insuffisantes. Ainsi certaines enveloppes vont être consommées en 2 ans alors qu'elles étaient prévues pour 5 ans", indique la Fédération Nationale d'Agriculture Biologique (FNAB) qui ajoute que "les aides dites de « maintien », qui rémunèrent le service environnemental rendu par les agriculteurs bio pour la dépollution des sols, de l'air et de l'eau, sont dans certains cas menacées de suppression !"

    C'est pourquoi, la FNAB et Greenpeace appellent les pouvoirs publics à soutenir prioritairement les solutions alternatives aux pesticides de synthèse et tous les agriculteurs qui veulent passer à l'agriculture bio. C'est salutaire pour notre environnement, pour notre santé et pour le maintien d'une agriculture locale de qualité alors que la demande citoyenne ne cesse de croître avec un marché du bio en croissance de 10% par an.

    Bien sûr, il s'agit de soutenir le BIO français, pas celui qui vient d'Espagne, dont les normes sociales et environnementales sont discutables, et qui a littéralement envahi les étals de nos marchés et supermarchés.

    Une dépendance mortifère aux pesticides

    1ère consommatrice de pesticides en Europe, l'agriculture française entretient un rapport de dépendance mortifère aux intrants chimiques de synthèse. Comme le montre le reportage de Cash Investigation de France 2[1], les conséquences sont désastreuses sur la santé publique, particulièrement celle des enfants : multiplication des cancers infantiles, des anomalies de naissance, des troubles hormonaux ou encore l'explosion de l'autisme[2].

    Les coûts de traitement de ces pollutions ont d'ores et déjà un coût exorbitant pour la collectivité : 300 à 600 millions d'euros par an pour la seule dépollution des eaux par les engrais azotés[3] ! En outre, rappelons que 92% des cours d'eau surveillés en France sont pollués par des pesticides !

    L'achat de pesticides et d'engrais chimiques pèse également lourd sur la situation économique des exploitations agricoles, placées dans une spirale de dépendance face aux grands groupes qui les produisent. Comme le montre l'organisme des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), qui tire la sonnette d'alarme, l'utilisation massive d'intrants chimiques appauvrit les sols ce qui incite à recourir à des doses toujours plus importantes [4].

    Un très mauvais signal donné par le Sénat en ce début d'année sous la pression de l'agro-industrie

    "L'agro-industrie, à l'instar du regroupement des céréaliers (ORAMA), fait pression pour une libéralisation accrue de l'usage des pesticides et la remise en cause du plan Ecophyto 2, sous prétexte de mettre fin aux « distorsions de concurrence » induites par l'interdiction de produits sur le sol français"[5].

    Succombant à ces sirènes, le 22 janvier 2016, le Sénat a retiré du projet de loi sur la biodiversité l'interdiction des néonicotinoïdes, une classe de pesticides qui désoriente et tue les abeilles. Une décision irresponsable qui enterre une nouvelle fois le fameux principe de précaution.

    La bio : une agriculture en pleine croissance et sans pesticides

    Les 29 000 exploitations bio françaises font chaque jour la preuve qu'une agriculture sans pesticides et sans engrais chimiques est non seulement possible, mais qu'elle est porteuse de dynamisme économique et de création d'emplois alors que le chômage ne cesse d'augmenter.

    Le marché des produits bio augmente en France de 10% par an et face à la crise structurelle de l'agriculture dite conventionnelle un nombre croissant d'exploitants change de modèle et passe au bio pour préserver leur activité en retrouvant de l'autonomie.

    Les surfaces agricoles certifiées bio ont augmenté de 100% entre 2007 et 2014, année qui a connu une envolée des entrées en 1ère année de conversion bio (+36%). Sur fond de crise à répétition des prix agricoles, cette dynamique se poursuit et se renforce.

    C'est à nous, consommateurs, d'accompagner cette transition agricole en achetant des produits bio et français. Au final, le prix du panier ne sera pas plus élevé si l'on considère le moindre impact environnemental et sanitaire et si l'on n'achète plus tout un tas de produits alimentaires néfastes et inutiles qui occupent la plupart des caddies.

    Pour un réveil des élus et de la grande distribution

    La FNAB, soutenue par Greenpeace, demande au plus vite une réunion avec le Ministre de l'agriculture et l'ensemble des nouveaux vice-présidents des régions en charge de l'agriculture pour garantir le soutien financier aux très nombreux agriculteurs qui souhaitent se convertir à la bio. La Fédération demande également des moyens pour garantir l'accompagnement technique de ces producteurs et pour favoriser le développement de solutions alternatives aux pesticides de synthèse, avec un plan Ecophyto 2 enfin efficace.

    Greenpeace demande de son côté à E. Leclerc et aux autres enseignes de la grande distribution française d'éliminer en priorité les pesticides les plus dangereux dans la production de notre alimentation. Ces acteurs doivent aussi soutenir les agriculteurs qui s'engagent à produire sans pesticides et être transparents vis-à-vis des consommateurs sur ces engagements.

    Le lobby des pesticides fait front contre Cash Investigation

    Tout le monde ne partage pas la vision pessimiste du documentaire de France 2. Ainsi, le Collectif Sauvons les Fruits et Légumes de France dénonce "une véritable caricature populiste" qui "oublie les vrais enjeux".

    Ce rassemblement de producteurs de fruits et légumes souligne que "les produits phytosanitaires ne sont pas utilisés par plaisir par les producteurs mais sont là pour protéger les plantes et leurs fruits contre les maladies et ravageurs, qui représentent un risque bien réel. Sans eux, nos étalages seraient dégarnis. Les produits phytosanitaires protègent également les consommateurs contre des risques sanitaires (mycotoxines, bactéries, etc.) particulièrement dangereux et à l'origine de cas de mortalités." Il conclut : "Cash Investigation a sombré dans la caricature en oubliant de préciser que toutes les cultures, y compris bio, ont besoin de protection phytosanitaire. Il n'existe actuellement pas de production « sans pesticides », sauf dans l'imaginaire de ces journalistes."

    L'Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP) réagit également : "Cash Investigation a omis d'indiquer les avancées de la recherche, de l'innovation, et les progrès réalisés par l'ensemble des acteurs de la filière : l'utilisation des produits a diminué de 45 % depuis la fin des années 1990, la toxicité a été divisée par 8, les trois quarts des produits présents à cette époque ne sont plus présents sur le marché. Dans un tel contexte, comment expliquer que les produits phyto seraient responsables d'une augmentation des maladies chez les plus jeunes ?" Cette question, naïve, trouve sa réponse dans la persistance des pesticides dans les milieux, pendant des décennies.

    Pour répondre à cette fronde d'un autre temps, rappelons que de nombreuses fermes en production biologique n'utilisent absolument aucun traitement pour leurs cultures et personne ne meurt de faim ! Seulement, il faut accepter de privilégier la qualité à la quantité et rester à l'écoute de la nature...

    Notes

    1. L'émission "Cash Investigation" consacrée aux pesticides et leurs dangers pour la santé peut être visionnée pendant quelques jours sur France 2 Replay.
    2. Sur ce dernier point, notons que la pollution de l'air affecte fortement le développement et la santé des enfants : autisme, cancer, QI...
    3. Etudes & documents du Commissariat Général au Développement Durable, n°136, décembre 2015.
    4. Rapport de la FAO sur l'état des sols dans le monde publié le 4 décembre 2015.
    5. Les producteurs d'Orama veulent être « libres d'entreprendre »

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