• Pour réfléchir un peu

     Effacer ses problèmes avec Wittgenstein

    La clé des sages  ( par Roger-Pol DROIT)

       Ce riche héritier qui a légué sa fortune était un sage moderne. philosophe de la logique, il affirmait que les problèmes n’existent pas.

    En 1900, Vienne est la plus inventive des capitales, et la famille Wittgenstein, l’une des plus riches d’Europe, tire sa fortune de la sidérurgie . A dîner, dans le palais où le jeune Ludwig passe son enfance, on rencontre les Carnegie, les Krupp, mais aussi Johannes Brahms, et un peintre venu faire le portrait de sa sœur Margarethe, Gustav Klimt. Tout le monde est passionné par les arts. Le père collectionne les œuvres d’avant-garde, Paul, le fils aîné, est pianiste (c’est pour lui que Ravel écrira le « Concerto pour la main gauche », quand il perdra une main à la guerre) et Ludwig, lui, rêve d’être chef d’orchestre. A la maison, il est vrai qu’il y a sept pianos…
    Chef d’orchestre ou mécanicien ? L’enfant hésite. A 11 ans, il construit de toutes pièces une machine à coudre et, à 20, il veut devenir ingénieur. Ou bien philosophe, sans être bien sûr, au départ, d’en avoir les capacités : « Si je suis complètement idiot, je deviendrai aéronaute ; sinon, je serai philosophe. » Mais avant, il lui faudra devenir libre, nomade et solitaire, sans attaches ni contraintes. « Le travail en philosophie (…), dira ce grand logicien, est avant tout un travail sur soi-même. »
    Dans sa longue course vers la sérénité, Wittgenstein devra rompre avec quantité d’entourages successifs, devenant tour à tour soldat dans l’armée autrichienne sur une canonnière parcourant la Vistule, jardinier dans un monastère, instituteur en Basse-Autriche, architecte pour sa sœur à Vienne, professeur à l’université de Cambridge, ermite au bord d’un lac en Norvège, brancardier de l’armée britannique pendant la Seconde Guerre mondiale… Le tout sans un sou car, à 25 ans, il a décidé de se défaire de sa part de l’héritage paternel. Il en fit don à ses frères et sœurs, déjà richissimes, en expliquant que des pauvres seraient trop perturbés par cette fortune.
    Il y a bien une leçon de sagesse dans cette vie digne d’un personnage de roman. Elle est résumée par cette phrase essentielle de ses « Carnets » : « La solution du problème que tu vois dans la vie, c’est une manière de vivre qui fasse disparaître le problème. »
     
    La doctrine :
    Nettoyer les fausses questions
    « Ne vous en faites pas, je sais que vous n’y comprendrez jamais rien », déclarait Wittgenstein à son jury de thèse. Cette phrase pourrait bien s’adresser aussi aux amateurs qui tenteraient de se lancer sans guide dans la lecture de ses traités et de ses cours, souvent très techniques. Pourtant, si les aspects logiques et mathématiques de ses analyses sont ardus, l’intention d’ensemble de son travail est facile à comprendre, malgré sa grande singularité.
    En fait, la démarche de Wittgenstein n’est pas sans ressemblance avec celle du Bouddha : il s’agit de dépouiller la pensée des questions inutiles. Les autres philosophes cherchent la vérité, l’accroissement de nos connaissances, l’extension du domaine du savoir, la résolution des grands problèmes. Wittgenstein – comme le Bouddha – s’est efforcé au contraire d’éteindre les problèmes, de faire en sorte que les questions
    se dissolvent. Il s’agit carrément d’en finir avec la philosophie, de la liquider, en montrant comment toutes les questions qui ont agité tant de siècles ne sont que des malentendus, des confusions engendrées par nos manières de parler. La réflexion doit mener « un combat contre la fascination que des formes d’expression exercent sur nous ».
     
    Quelle utilité pour nous aujourd’hui ?
    Wittgenstein a modifié l’approche de la logique, de l’analyse du langage, du travail philosophique lui-même. Il est plus connu pour cet aspect de son œuvre, notamment le « Tractatus Logico-Philosophicus », que pour son apport en éthique. Deux grandes leçons se dégagent néanmoins de la vie et de l’œuvre de Ludwig Wittgenstein, qui concernent chacun de nous.
    1. La pensée n’est pas extérieure à la vie, ce n’est pas un monde à part, coupé du reste. Si les deux sont étroitement liées, il faut en conclure que changer de vie, c’est changer de pensée, mais aussi que changer de pensée, c’est changer de vie. Entre les trajectoires de l’existence et celles de la réflexion, l’interaction est totale.
    2. Analyser correctement un problème peut avoir pour résultat de le supprimer. On constate qu’il ne se pose pas comme on le pensait, qu’on était piégé par des illusions. Il n’y a donc pas que les fours qui soient autonettoyants, les pensées peuvent l’être aussi!

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