Rats de laboratoire : la nouvelle étude polémique de Gilles-Eric Séralini (Publié par Réseau Environnement Santé)
Par Rachel Mulot Mis à jour le 02-07-2015
Le Pr Gilles-Eric Séralini, connu pour avoir créé la polémique sur un maïs OGM réalise une nouvelle étude critiquant les tests d'évaluation des OGM et des pesticides. Elle est publiée dans la revue scientifique PLOS One le 2 juillet.
Rongeur. Photo prise dans un laboratoire, à Orléans (CDTA, France). © Olivier Roux / Biosphoto / AFP
FILTRE. "Les tests pour la commercialisation d’OGM et de produits chimiques sont faussés par l’alimentation des rats de laboratoire". C’est le message que le Pr Gilles-Eric Séralini, de l’université de Caen, martèle à la radio, la télévision et dans les journaux depuis jeudi 17 juin 2015. Il s’appuie pour ce faire sur un travail mené avec ses confrères biologistes Robin Mesnages et Nicolas Defarge. Un travail terminé… mais non encore publié dans une revue scientifique censée en garantir le sérieux. Les chercheurs ont décidé de rendre leurs résultats publics avant même leur parution. Une stratégie médiatique qu'ils justifient par leur crainte d'être censurés.
Gilles-Eric Seralini dans un laboratoire avec son équipe à Caen, le 18 septembre 2012. De gauche à droite : Nicolas Defarge, Robin Ménasge, Gilles-Eric Seralini et un collègue. © AFP / Charly Triballeau.
Gilles Eric Séralini et son équipe sont déjà connus pour un article de 2012, retentissant et controversé sur un OGM : il suggère que des rats nourris à vie entière (2 ans) avec du maïs NK603 (fabriqué par Monsanto et tolérant à l’herbicide Round-Up) développent nombre de pathologies et tumeurs. Des chercheurs et des agences sanitaires ont critiqué la taille des échantillons, les statistique, l'éthique et l'exposition médiatique dans laquelle se serait complu le professeur de l’université de Caen. Mais l'article a poussé la France et l’Europe à mener eux aussi des études à vie entière sur des rongeurs. Publié initialement dans la revue FCT, le travail de Séralini a été unilatéralement retiré puis republié dans Environmental sciences Europe en juin 2014.
Cette décision rompt avec les "bonnes pratiques" de la communauté scientifique. D’ordinaire, les chercheurs respectent en effet l'embargo (l'interdiction de divulgation) imposé par les revues scientifiques, et ne communiquent jamais en amont sur le sujet, garantissant ainsi à ces dernières une exclusivité. Le débat ne s’ouvre alors qu’une fois l’article publié, après que d’autres spécialistes ont pu faire une lecture critique du travail accompli et les journalistes solliciter des commentaires différents.
Conflits d'intérêts potentiels
Mais Gilles-Eric Séralini a choisi de passer outre. Motif ? La revue en ligne PlosOne à qui a été proposée cette étude, et qui jouit d'une bonne réputation, aurait d'abord accepté de la publier le 17 juin au soir... avant de reporter sa décision. " Tout avait pourtant été validé, communiqué de presse compris " explique le chercheur à Sciences et Avenir. Or le jour J, le comité éditorial de la maison mère de la revue, situé en Californie, a suspendu la parution pour d’ultimes modifications. Celui-ci demande en effet que les entités et les fondations qui ont soutenu le travail de Gilles-Eric Séralini soient mentionnées dans la rubrique " Competing interest " (" conflit d’intérêt potentiel ") et non plus dans celle des " remerciements " et "financements " *. Parmi ces soutiens figurent le CRIIGEN, le Comité de recherche et d’information indépendante sur le génie génétique, la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme, et les régions Rhône Alpes et Ile de France ou encore l’Institut pour la Recherche Bio d’Autriche. La revue en ligne Plos One demande également que les cinq dernières lignes du résumé de l’article soit coupées: elles stipulaient que les résultats de l'étude auraient une implication sur la conduite des futurs tests de toxicité. Autant de modifications de dernière minute que Gilles Eric Séralini dit avoir accepté. De son côté, Plos One assurant à Sciences et Avenir que la publication n’a été que "brièvement reportée".
Une politique de "deux poids, deux mesures" ?
Dès lors, pourquoi le chercheur a-t-il choisi de rompre l’embargo et de rendre les résultats publics, sans attendre quelques jours, voire une semaine au plus ? Pourquoi a-t-il pris le risque de s'entendre à nouveau accuser de vouloir faire "de la mousse médiatique, plutôt que de la science?" comme cela avait déjà été le cas lors de la publication de son étude précédente en 2012. "Chat échaudé craint l’eau froide", nous répond en substance le chercheur de l’université de Caen. "Par le passé, une autre revue nous avait également demandé de faire figurer nos financeurs dans la rubrique « conflit d’intérêt potentiel» raconte t-il. Puis elle a "retoqué" l'étude en disant qu’elle ne publiait pas d'article présentant ce type de conflits… Et ce, alors qu’elle fait paraître régulièrement des articles de chercheurs du groupe Monsanto (fabricant d'OGM et de produits chimiques) sans leur demander de dénoncer un possible conflit d’intérêt avec leur employeur " s’indigne t-il.
Ce n’est pas la première fois que le pr Séralini dénonce une politique de "deux poids, deux mesures" qui règnerait chez les éditeurs scientifiques et serait en faveur des industriels. En 2013, sommé de retirer son article sur la possible toxicité du maïs OGM NK603 de la revue Food and Chemical Toxicology, il avait refusé avec éclat, dénonçant de multiples pressions dont l'éditeur aurait fait l'objet. Avant de parvenir à le republier ailleurs (lire encadré ci-dessus).
Cocktail et faibles doses
Il faut dire que l’enjeu est à nouveau de taille : le chercheur de l’Université de Caen et ses confrères Robin Mesnage et Nicolas Defarge estiment en effet dans ce nouveau travail - que Sciences et Avenir a pu lire - que les études toxicologiques menées sur les rats de laboratoire seraient largement biaisées à cause de la nourriture donnée aux rongeurs. Celle censée être neutre serait riche en pesticides et OGM... Pour les chercheurs, il seraitainsi impossible de distinguer un "rat contrôle" d’un rat gavé aux OGM ou aux produits chimiques. Conséquence : les procédures de tests actuellement en cours, et qui visent à faire la comparaison entre l'état de santé des rats témoins et celui des rats soumis à cette nourriture particulière, seraient, selon eux, à revoir. "C’est effectivement très pertinent d’avoir fait cette étude, commente le chimiste et toxicologue André Cicolella de Réseau Environnement santé, qui n'a pas pu lire l'étude mais en apprécie l'intention. L’enjeu aujourd’hui est en effet de connaître l’impact de pollutions multiples. Il importe donc de vérifier la qualité de l’alimentation des animaux témoins. D'autant que s’agissant de perturbateurs endocriniens, la relation entre la dose et l'effet qu'elle produit sur l'organisme n’est pas linéaire : même des traces peuvent avoir des impacts importants. De plus, l’effet cocktail -c'est-à-dire le mélange de plusieurs produits toxiques- peut jouer également."
Malheureusement le travail précocement éventé de Gilles Eric Séralini risque désormais de ne pas être publié, la revue prenant ombrage de la rupture d'embargo. Si tel était le cas, ces résultats -non validés-tomberaient dans l’indifférence. Ce qui priverait la communauté scientifique d'un débat intéressant. La balle est désormais dans le camp de Plos One. A suivre.
Sciences et Avenir a reçu le papier initial mais s’est engagé à ne pas le diffuser. Nous demanderons les commentaires de spécialistes dès que possible.