• Un bilan des libéralisations européennes

    Tribune

    Europe et services publics : un bilan des libéralisations

    Pierre Bauby 18/02/2019

    Depuis plus de trente ans, UE et Etats membres mènent des politiques de libéralisation et d’ouverture progressive à la concurrence de services publics. Sans pour autant évaluer leurs conséquences.

    Depuis les années 1980, l’Union européenne et les Etats membres ont conduit des politiques de libéralisation des services publics de réseau (communications, énergie, transports), avec l’ouverture progressive à la concurrence d’activités jusque-là organisées en situation de monopole national ou territorial.

    Un bilan des libéralisations européennes

       Plus de trente ans après, les institutions européennes et nationales suivent la même orientation, avec les « paquets » législatifs énergie, transports et bientôt services postaux. Mais cela se fait sans évaluation des effets économiques, sociaux et sociétaux de ces politiques. Malgré une demande répétée de nombreux eurodéputés, il n’existe pas d’évaluation d’ensemble des effets de celle-ci dans un domaine pourtant essentiel pour chacun des habitants et citoyens, comme pour la cohésion économique, sociale et territoriale.

       C’est pour commencer à combler ce vide que les députées européennes Marie-Pierre Vieu et Marie-Christine Vergiat ainsi que le groupe Gauche unitaire européenne-Gauche verte nordique (GUE-NGL) du Parlement européen ont demandé une étude portant sur trois secteurs (transports ferroviaires, électricité et services postaux) dans quatre Etats membres aux histoires et situations contrastées (France, Allemagne, Espagne et Slovaquie), avec des chercheurs de chacun des pays. Il en ressort quelques constats et des propositions pour l’avenir qui devraient intéresser les citoyens européens, qui sont tous des usagers de ces services publics.

        A lire L'Economie Politique n°081 - 02/2019

        Un bilan négatif

       Le premier constat met l’accent sur les responsabilités essentielles des Etats membres et de leurs gouvernements : ils négocient et adoptent les règles européennes, ils les transposent et les appliquent ensuite. La Commission européenne joue un rôle clé, compte tenu de son monopole de proposition législative mais, pour l’essentiel, elle ne décide pas et n’est pas le responsable en dernier ressort.

    Si on introduit de la concurrence, celle-ci tend à être oligopolistique

    La seconde caractéristique concerne la situation aujourd’hui très disparate qui existe dans les différents pays, après trente ans de « règles communes ». On voit cependant se dégager des tendances générales.

    Si on introduit de la concurrence, celle-ci tend à être oligopolistique : seul un petit nombre d’entreprises entrent en jeu, souvent à l’échelle européenne (le marché de l’électricité est ainsi dominé entre quatre acteurs), ce qui limite la concurrence et leur donne beaucoup de latitude pour fixer les prix ou la variété des services. On se retrouve ainsi avec les défauts du monopole... sans ses avantages (réduction des « coûts de transaction », par exemple) ! La concurrence se développe surtout sur des niches ou sur certains segments de marché (« écrémage »). Les statuts des opérateurs historiques, qui étaient presque partout de droit public, relèvent du droit commun. Les opérateurs tendent à développer des segmentations sociales et territoriales et à diversifier leurs activités comme leurs terrains d’action, mettant en cause les principes antérieurs d’égalité de traitement ou d’universalité. La rentabilisation financière devient prioritaire au risque d’entraver la durabilité. On observe un recours à des externalisations croissantes aux effets négatifs sur la société. Enfin, dans le domaine des relations sociales, la tendance est à la précarisation des emplois (emplois temporaires, mini-jobs, travail en statut d’indépendant ou sous-traité, salarisation et/ou formations internes réduites, reconversions professionnelles plus fréquentes... )  davantage qu’à une généralisation du dumping social.

    Des pistes pour l’avenir

    Sur ces bases, le rapport a pour but d’explorer des pistes pour les années 2020, visant à trouver le meilleur équilibre évolutif possible entre européanisation – indispensable dans la situation mondiale présente – et responsabilités des autorités nationales, régionales et locales ; entre économie de marché et initiatives publiques ; entre efficacité économique et financière, solidarité et cohésion sociale et territoriale ; entre court et long terme.

    La démarche tente de dépasser l’opposition qui s’est cristallisée entre les deux paradigmes qui ont longtemps structuré l’organisation et la régulation des services publics – d’un côté celui du monopole national intégré, de l’autre celui de la concurrence.

    Les autorités nationales, régionales et locales devraient organiser l’expression des besoins des utilisateur du service et de ses évolutions

    Le rapport suggère quelques pistes générales au niveau européen, mais les autorités nationales, régionales et locales doivent intervenir. Elles devraient organiser l’expression des besoins des utilisateur du service et de ses évolutions, de façon à pouvoir clairement définir les objectifs et missions de chaque service qui fondent son caractère de service public ou de service d’intérêt général, les règles et normes particulières dont ils relèvent, les « obligations de service public » et/ou « obligations de service universel ». Elles peuvent également déterminer le territoire pertinent et le mode d’organisation de l’activité et du secteur concerné le plus adapté aux finalités retenues, droits exclusifs ou spéciaux, concurrence, en conjuguant les avantages respectifs de la concurrence et de la coopération (« coopétition »). Elles peuvent intervenir sur le mode de financement de l’activité, de l’accès au service et de la compensation des obligations imposées aux opérateurs. Enfin, elles peuvent définir les initiatives et responsabilités dans la complémentarité d’approches top-down (de haut en bas en anglais) et bottom-up (de bas en haut), de démarches de participation démocratique, de co-définition et de co-organisation du service public.

    Le bilan de la libéralisation des services publics européens ne jouent pas en sa faveur. Avant de poursuivre le mouvement, il est important d’évaluer les mesures passées. D’autre voies sont possibles qui laissent plus de place à un meilleur équilibre dans la définition et la mise en œuvre de la mise à disposition de services publics.

    Pierre Bauby est politiste, spécialiste des services publics et de l’action publique en Europe


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