• Une contre-histoire du libéralisme (Domenico LOSURDO)

    Une contre-histoire du libéralisme (Domenico LOSURDO)

    2013    390 p.    25 € 

      Ce livre diffère des précédentes histoires du libéralisme parce qu’il cherche, d’abord, à reconstituer une histoire dont l’objet n’est pas la pensée libérale dans sa pureté abstraite (même s’il en est évidemment question), mais le libéralisme en tant que mouvement, et les sociétés libérales dans leur réalité concrète. Il s’agit d’en comprendre les concepts, mais aussi - et avant tout - les relations politiques et sociales au travers desquelles il s’exprime, ainsi que le lien plus ou moins contradictoire qui s’établit entre ces deux dimensions de la réalité sociale. Si l’auteur parle de « contre-histoire », c’est pour attirer l’attention sur des aspects largement et injustement laissés de côté. Losurdo questionne les contradictions et les zones d’ombre négligées par les chercheurs et met en évidence la difficulté de concilier la défense théorique des libertés individuelles et la réalité des rapports politiques et sociaux. Comment expliquer que, dans la tradition libérale, la célébration de la liberté aille souvent de pair avec l’assimilation des travailleurs salariés à des instruments de travail et avec la théorisation du despotisme, et même de l’esclavage, au détriment des peuples coloniaux ?
      John Locke comparait par exemple les Amérindiens à des "bêtes sauvages", John Stuart Mill justifiait le travail forcé pour mettre au travail "les races non civilisées" et les pères fondateurs des Etats-Unis possédaient des esclaves. Montesquieu, quant à lui, théorisait la servitude des pays en fonction de leur climat, tandis que Tocqueville réclamait l'anéantissement des villes et des bourgades algériennes et que Bernard Mandeville applaudissait à l'exécution des Irlandais.

      Ces contradictions sautent aux yeux des lecteurs d'aujourd'hui, alors que ces penseurs libéraux et racistes à la fois estimaient simplement que les seuls individus à défendre étaient les propriétaires blancs.

      A signaler toutefois la position d'Adam Smith, prêt à accepter un Etat central fort aux Etats-Unis pour combattre l'esclavage. Mais la force de la pensée libérale, conclut l'auteur, fut d'évoluer en écoutant les mouvements sociaux extérieurs à elle-même.

     Domenico Lesurdo a également publié:

      -Le révisionnisme en histoire (Albin Michel, 2006),

      -Staline : Histoire et critique d'une légende noire (Aden, 2011),

      -Hegel et la catastrophe allemande (Albin Michel, 1994).

      Sa Contre-Histoire du libéralisme lui a valu une renommée internationale.

     Nicolas Journet (Sciences Humaines)

    Mis à jour le 03/01/2013

    Bien connu en Italie, le philosophe Domenico Losurdo ne lâche pas prise : sa Contre-histoire du libéralisme est une charge sans merci contre les pères fondateurs, puis les partisans du libéralisme politique en Angleterre, aux États-Unis et en France jusqu’au seuil du XXe siècle. La conjoncture actuelle pourrait faire penser que l’auteur s’acharne sur un moribond. Pourtant, aussi dense et labyrinthique soit-il, l’ouvrage vaut d’être lu. Il met le doigt sur des crimes historiques : l’extermination des Indiens d’Amérique, la traite atlantique, l’esclavage persistant au XIXe siècle, la condition faite aux Noirs d’Amérique du Nord, l’eugénisme et les aspects les plus sombres de l’hygiénisme social.


    Ce sont des faits connus. Ce qui l’est moins, c’est le lien intellectuel que D. Losurdo tisse, citations à l’appui, entre les idéologues libéraux – partisans donc des libertés individuelles – avec ces forfaits, voire leur compromission franche avec un racisme sans fard. John Locke, David Hume…, trouvaient à divers degrés des raisons de tolérer l’esclavage. Quant aux acteurs de l’indépendance américaine (Thomas Jefferson, Benjamin Franklin…), il était clair pour eux que la démocratie et l’égalité ne sauraient s’étendre au-delà des limites d’une « race des seigneurs », excluant les Noirs et les Amérindiens. Alexis de Tocqueville lui-même, tout en le déplorant, se rendra à certaines leurs raisons. D’autres penseurs de moindre célébrité, libéraux de filiation, professaient un apartheid dont les principes s’appliqueront aux États-Unis bien au-delà de l’abolition de l’esclavage. À ce « libéralisme des seigneurs », profondément conservateur, D. Losurdo oppose le « radicalisme » d’un Diderot, d’un Condorcet, et des Jacobins français, pour qui l’égalité politique devait s’appliquer à tous. La Révolution française, dans toute sa violence et le soulèvement d’Haïti, tout aussi brutal, firent donc, selon lui, plus pour le progrès des valeurs démocratiques que le camp des « modérés libéraux ». De la part d’un philosophe marxiste, la thèse ne surprendra pas. Le lecteur sera cependant troublé, et même interloqué, par le parcours citationnel dans lequel il le promène, prouvant une fois pour toutes que les mots « liberté », « égalité » et « démocratie » pouvaient avoir, au XIXe siècle, un sens totalement étranger à ce que nous nommons ainsi aujourd’hui.


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