• Lanceurs d'alerte

     La Cour de cassation rassure les lanceurs d’alerte

    Aurore Moraine   30/06/2016

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    Ouverture du procès des deux lanceurs d'alerte Antoine Deltour et Raphaël Halet et du journaliste Edouard Perrin à Luxembourg, le 26 juin 2016. ©Fred MARVAUX/REA

    Sale temps pour les lanceurs d’alerte. Antoine Deltour, héros malheureux de l’affaire LuxLeaks, a été condamné le 29 juin par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg à douze mois de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende pour violation du secret professionnel et du secret des affaires. Dans le match liberté d’expression contre secrets pénalement protégés, ces derniers sont le plus souvent vainqueurs, au risque de décourager ceux qui dénoncent la délinquance financière, des atteintes au droit de l’environnement, à la santé publique…

    Enfin une bonne nouvelle

    Mais la surprise vient de la chambre sociale de la Cour de cassation qui, sans prévenir, surgit dans le débat. Le 30 juin, à 14 heures, elle a dévoilé sur son site Internet un arrêt qu’elle destine à son prochain rapport, ce qui signifie que c’est une décision très importante, qui plus est la première sur cette thématique. L’affaire n’est pas connue du grand public. Elle se déroule en Guadeloupe au sein de l’association Agrexam sous tutelle de la Caisse générale de Sécurité sociale. Le directeur administratif et financier n’apprécie guère les agissements du nouveau responsable médical que couvre le président de l’association.

    Le lanceur d’alerte refuse de payer une facture de 15 600 euros et de créer un emploi fictif à temps plein

    Celui qui, très vite, va endosser les habits du lanceur d’alerte refuse de payer une facture de 15 600 euros présentée par le responsable médical et de créer un emploi fictif à temps plein. Il dénonce des tentatives d’escroquerie ou d’extorsion de fonds à l’encontre de l’association. L’organisme de tutelle, alerté par ses soins, met en garde le responsable médical, entre-temps promu directeur. En vain. C’est alors que, compte tenu des pressions qui s’exercent sur lui, le lanceur d’alerte saisit le procureur de la république d’une plainte portant sur les agissements du responsable médical.

    Les représailles ne tardent pas. Il est licencié pour faute lourde sans que le conseil des prud’hommes de Pointe-à-Pitre n’y trouve rien à redire…  La cour d’appel de Basse-Terre sera un peu plus progressiste en considérant le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Mais elle n’ose pas prononcer la nullité du licenciement dans la mesure où les deux lois qui la prévoient dans cette hypothèse n’étaient pas applicables. La première du 6 décembre 2013 est postérieure aux faits de l’espèce (le licenciement date de mars 2011), la seconde est hors champ puisqu’elle protège la dénonciation de faits de corruption, ce qui n’était pas le cas dans notre affaire.

    Atteinte à la liberté d’expression

    La chambre sociale de la Cour de cassation est moins timide et plus novatrice. Aucune assise textuelle ne peut conforter la nullité ? Qu’à cela ne tienne. Elle invoque l’article 10 & 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales sur la liberté d’expression. Sa violation justifie amplement la nullité du licenciement. Dans cette configuration, le salarié peut, s’il le souhaite, être réintégré. Mais comme à son habitude, la Cour de cassation ne se limite pas à la sanction. Elle en profite pour dessiner un régime du lanceur d’alerte en attendant les réformes applicables. Quel est-il ?

    La violation de la liberté d’expression justifie amplement la nullité du licenciement

    La première volonté de la Cour de cassation est de définir le périmètre de l’alerte. Quel champ recouvre-t-elle ? Il s’agit des conduites ou actes illicites constatés sur le lieu de travail susceptibles de caractériser une infraction pénale. Le modèle affiché de la Cour de cassation est celui de la loi du 6 décembre 2013 sur la grande délinquance financière. Un champ d’application moins vaste que celui de la future loi Sapin 2, mais la Cour de cassation ne peut pas s’ériger en législateur. Elle doit s’inspirer de textes existants et non de textes à venir. D’où son choix.

    Elle prend en revanche quelque distance avec la jurisprudence de la Cour de Strasbourg qui, dans son célèbre arrêt Guja contre Moldavie du 18 février 2008, impose une gradation des canaux susceptibles d’être saisis par le lanceur d’alerte : canal interne d’abord (la hiérarchie), canal externe ensuite (autorité judiciaire, autorité administrative compétente). Pour la chambre sociale, il n’y a pas de hiérarchie. Le lanceur d’alerte peut donc, s’il le souhaite, divulguer les faits litigieux, directement à la presse.

    Un arrêt novateur

    La Cour de cassation est, là encore, plus souple que la Cour de Strasbourg lorsqu’elle indique que dès lors que les faits dénoncés sont susceptibles de qualification pénale, la condition liée à l’intérêt général est remplie. La Cour de Strasbourg est plus exigeante, elle contrôle l’intérêt public que présente l’information divulguée. L’alerte doit recouvrir des informations sensibles que le public a intérêt à connaître. Pour la Cour de cassation, la marche est un peu haute. La liberté d’expression ne se limite pas à des sujets relevant de l’intérêt général.

    Enfin, ce qui compte, c’est que le lanceur d’alerte soit de bonne foi. La condition est classique et bien connue. La dénonciation ne doit pas être mensongère dans le seul but de déstabiliser l’employeur ou l’organisme visé.

    Nos lanceurs d’alerte pourraient connaître des jours meilleurs

    Le lanceur d’alerte serait-il entré dans l’ère de la maturité juridique ? Nos lanceurs d’alerte pourraient connaître des jours meilleurs. Dans la lignée du rapport du Conseil d’Etat sur le droit d’alerte (février 2016), le projet de loi Sapin 2 entend mettre en place un régime de protection unifié des lanceurs d’alerte, jusqu’ici disséminé dans de multiples lois dont le déploiement est limité et parcellaire. Certes, la très controversée directive sur le secret des affaires, actuellement devant le Conseil des ministres, prévoit des dispositions sur le sujet et on annonce une directive entièrement dédiée. La prise de conscience de la nécessité de protéger ces héros des temps modernes est clairement affichée, du moins sur le terrain des discriminations. Le pénal, c’est une autre affaire.

    Aurore Moraine

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