Fini les "recycle tes déchets pour sauver la planète", la tendance est au "100 de tes voisins ont adopté le recyclage". La différence? La seconde méthode incite aux changements de comportements, sans punir ni contraindre, et sans que les personnes ne s'en rendent compte. C'est ce qu'on appelle nudge ou, en français, un coup de pouce. Et pour vous aider, ils instaurent la compétition ou ne vous laissent pas le choix.
Le concept a été popularisé en 2008 par Richard Thaler et Cass Sustein, deux économistes américains, dans le livre Nudge, la méthode douce pour inspirer la bonne décision. Depuis, le phénomène a pris son envol dans les pays anglo-saxons. Déjà adoptée dans les secteurs de la santé et de la finance, cette méthode s'attaque aux gestes écologiques.
Mettre en compétition les citoyens
Aux États-Unis, le distributeur d'énergie Opower a par exemple mis en compétition ses clients en indiquant, sur les factures, la consommation énergétique de la famille, de celle qui dépense le moins et la moyenne de toutes.
"Ce nudge joue sur le levier de la norme sociale. Les personnes ont tendance, sans s'en rendre compte, à se conformer au groupe", explique Éric Singler, directeur général et responsable de la Nudge Unit chez BVA. Pour Opower, les dépenses énergétiques ont en moyenne baissé de 2%. La société compte plusieurs millions de clients, les économies sont donc importantes.
Ne pas laisser le choix pour accélerer le changement de comportement
Dans une compétition, comme celle encouragée par Opower, l'usager est libre de ne pas participer. Mais certaines fois, les nudges ne laissent pas le choix. Par exemple en France, la majorité des supermarchés ne proposent plus de sacs plastiques. "C'est l'option par défaut", explique Éric Singler. Aux États-Unis, certaines institutions publiques envoient automatiquement les documents par courrier électronique. S’ils veulent les recevoir par voie postale, les férus du papier doivent en faire la demande.
Les nudges pourraient compléter les campagnes traditionnelles d'information. Selon Stéphane Riot, fondateur du collectif Noveterra, elles ne parviennent pas à changer rapidement les comportements. "Avec les nudges, les comportements changent inconsciemment. Les personnes se disent que tout compte fait ce n'était pas si compliqué", exprime-t-il.
Est-ce vraiment efficace?
Les nudges aideraient donc notre comportement à changer, sans que l'on s'en rende compte. "N'est-ce pas de la manipulation", demandait, perplexe, une auditrice d'une conférence sur les nudges, organisée à Paris par Up conférences. "Oui, et c'est assumé", rétorqua Éric Singler avant d'ajouter: "Mais nous travaillons sur un comportement souhaitable, intéressant pour l'individu et l'intérêt général". Pour Stéphane Riot, ces méthodes "n'incitent pas le consommateur à réfléchir à son comportement, il est infantilisé". Le changement n'est pas le fruit d'un engagement idéologique mais d'une action pragmatique. Autrement dit, on adopte des gestes écolos sans être écolo dans l'âme.
Dans une note consacrée aux nudges écologiques, le Centre d'analyse stratégique en constate ses limites. Le nudge d'Opower a par exemple relevé que certaines familles, à l'origine écoresponsables, augmentaient leur consommation. "Elles peuvent être démotivées de voir que les autres ne font pas d'efforts", donne pour explication Stéphane Riot. Autre limite: les nudges sont plus efficaces sur les personnes déjà sensibilisées à la cause écologique.
Les nudges intéressent l'État français et la société civile
Pour autant, les pouvoirs publics français commencent à s'intéresser à la question. Par exemple, le "Plan administration exemplaire", circulaire à destination des services de l'État, leur demande d'imprimer automatiquement en recto-verso. Un simple réglage sur l'imprimante suffit. "Plusieurs ministères ou organismes publiques, comme la Direction générale des finances publiques, commencent à faire appel à nous", note Éric Singler, de BVA.
Pour sensibiliser aux économies d'énergie, l'ONG française Prioriterre a aussi pris le tournant. Chaque année, elle met en compétition plusieurs milliers de familles. Les participants doivent diminuer leur consommation énergétique de 8% avec, à la clef, des récompenses. La gamification, ou l'usage du jeu dans des produits ou services, est de plus en plus utilisée pour inciter aux gestes écologiques. "La compétition crée de l'émulation, les familles sont attirées par l'esprit de jeu. Et les gestes appliqués pendant le jeu deviennent des réflexes", explique Pascaline Pin, coordinatrice du défi "Familles à énergie positive".
Crédit photo: Garry Knigh/Flickr.
Cet article a initialement été publié le 29 avril 2014 sur Youphil