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La crise humanitaire en République centrafricaine est chronique, mais depuis la chute du président François Bozizé en mars 2013, la situation s’est davantage aggravée. Explication.
1. Comment expliquer l'instabilité politique en RCA?
Depuis l’indépendance de la Centrafrique en 1958, le pays de 4,5 millions d’habitants est plongé dans l’instabilité politique. Les dix ans de règne de François Bozizé ont été marqués par une contestation grandissante qui s’est matérialisée par le mouvement Seleka.
Ce dernier est né de l’agrégation de cinq groupes rebelles, unis dans la volonté de faire tomber Bozizé. Une fois la tâche accomplie, le groupe a placé Michel Djotodia à la tête de l’Etat, gageant qu’il serait un rempart efficace contre l’insécurité.
Un combattant rebelle dans le nord de la Centrafrique.Un voeu pieu. Le nouveau chef d'Etat n'a aucune autorité sur la Seleka qui répand la terreur à travers le pays, multipliant les exactions et les pillages. "Il s’agit d’une milice très hétérogène dont certaines composantes ont une grande autonomie", explique Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques.
2. Quelle est la situation humanitaire?
Tous les indicateurs sont au rouge. Le pays a la deuxième espérance de vie la plus faible du monde (48 ans) et un taux de mortalité trois fois supérieur au seuil qui définit une urgence humanitaire. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés dénombre 206.000 personnes déplacées et près de 50.000 Centrafricains réfugiés en République démocratique du Congo, au Tchad et au Cameroun. Ce qui provoque une situation sanitaire intenable.
Cinq des ONG présentes sur place se sont réunies le 9 juillet 2013 pour lancer un cri d’alerte. "La situation humanitaire, déjà très difficile, a empiré depuis mars", affirme Mego Terzian, président de Médecins sans frontières (MSF).
> L'effondrement du système de santé"Les centres médicaux sont abandonnés et il n’y a plus d’approvisionnement en médicaments y compris pour les traitements de base contre la diarrhée et le paludisme. De plus, plusieurs patients séropositifs ne sont plus soignés, faute de traitement disponible", rapporte Mego Terzian. Les structures de santé soutenues par MSF dénombrent 33% de cas de paludisme supplémentaires par rapport à 2012.
> Une crise alimentaire
Action contre la faim (ACF) évoque une situation alimentaire déplorable, par la voix de son directeur régional Alain Coutant: "Nous recensons deux fois plus d’admissions dans nos centres nutritionnels en 2013."
Un constat partagé par Bérangère Tripon de l’ONG Solidarités international (SI). Elle observe "un élargissement des populations touchées par la précarité alimentaire dans un contexte de mauvaise récolte et de pillage des semences". Si bien que les réserves alimentaires des populations sont réduites à un mois d'après l'ONG. En cas de pénurie, elles mangent les semences telles quelles.
3. Pourquoi la communauté internationale n'agit-elle pas?
Les cinq ONG dénoncent le désintérêt de la communauté internationale et l’exhortent à "réinvestir l’espace humanitaire", comme l’assène, Rafik Bedoui de Médecins du Monde (MdM).
> L'insécurité pour justifier l'inertie internationale
Il semble que la RCA ne soit pas la priorité de l’agenda international. Jeffrey Feltman, Secrétaire général adjoint aux Affaires politiques de l'ONU s'est rendu à Bangui en avril 2013, mais aucune aide concrète n'a suivi cette visite. Il a simplement appelé "les nouvelles autorités du pays [à] assumer leurs responsabilités en contrôlant les éléments sous leur commandement." Or, l'Etat centrafricain semble incapable de maîtriser les milices de la Seleka.
L'absence d'un engagement clair de l'ONU est particulièrement montrée du doigt. "Les Nations Unies ont payé cher leur complaisance envers Bozizé. Leurs locaux ont été pillés et leurs agents malmenés", analyse Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS, basé au Centre d'études et de recherches internationales de Sciences-Po Paris. Cela a conduit l’organisation à réduire son équipe à 40 agents, un protocole strict qui affaiblit ses capacités d’action. Outre les bureaux de l'ONU, les "ONG sont pillées et les exactions se multiplient", rapporte Thierry Mauricet de l’ONG Première urgence - Aide médicale internationale.
Trop d'insécurité pour la communauté internationale mais également pour les bailleurs de fonds. Ils seraient peu enclins à apporter une aide potentiellement détournée ou volée. Cet argument ne tient pas selon Roland Marchal. Plusieurs pays gangrenés par la violence ont bénéficié d’une aide importante.
C'est le cas en Libye où l'ONU s'était engagée à "soutenir le peuple libyen dans tous les domaines". Au Soudan, depuis 2010, l'ONU a doublé son financement en faveur du renforcement des capacités sécuritaires nationales pour gérer la crise humanitaire au Darfour et au Kordofan.
Roland Marchal ajoute que "la Seleka est un groupe armé à la puissance de feu limitée, rien à voir avec l’armée rwandaise, par exemple". Rétablir la sécurité est donc possible, selon lui.
> La RCA, "un intérêt géostratégique très faible" pour la France
Roland Marchal s'indigne de l'inaction française: "Où est la responsabilité de protéger? C’est bien sous cette bannière que sont intervenus les Français en Lybie et au Mali. Les troupes sont sur place mais les instructions envoyées par Paris les cantonnent à une action a minima. Les Centrafricains sont des citoyens comme les autres, ils doivent être traités comme tel."
En avril 2013, le président Michel Djotodia a appelé la France au secours pour restaurer la stabilité dans le pays. Un appel qui fait écho à celui de son homologue malien, Dioncounda Traoré, lancé en janvier 2013. Mais contrairement au dirigeant malien, le sien est resté lettre morte.
La France s'engage faiblement en RCA. Entre 2006 et 2010, les engagements de l'Agence française de développement se sont élevés à 37.5 millions d'euros. A titre de comparaison, au Togo, ils ont atteint 131 millions d'euros entre 2005 et 2011. Comment expliquer ces différences de traitement?
Pour Philippe Hugon, la France n'intervient pas à cause du "caractère interne de la crise, à la différence du Mali où se trouvait plusieurs éléments étrangers." La réalité est peut-être plus prosaïque: "Ce petit pays enclavé représente un intérêt géostratégique très faible." En dépit de quelques ressources minières, la RCA est très pauvre, explique le chercheur. Les échanges commerciaux entre la France et la Centrafrique ne s'élèvent qu'à 52.000 euros par an, d'après le Quai d'Orsay.
4. Vers un sursaut de la communauté internationale?
Face à la dégradation de la situation humanitaire, la communauté internationale paraît enfin se réveiller. L'ONU a annoncé une aide d'urgence de 7 millions d'euros en juin 2013 afin de répondre à la crise humanitaire. L’UE quant à elle, va débloquer une aide supplémentaire de huit millions d’euros, nous apprend Kristalina Georgieva, commissaire européenne à la coopération internationale et à l'aide humanitaire.
Cela porte sa contribution pour 2013 à 20 millions d’euros. En 2012, au Sahel, alors que 10 millions de personnes étaient confrontées à une pénurie alimentaire (soit deux fois plus qu'en RCA), l'Europe a débloqué plus de 330 millions d'euros. C'est-à-dire 15 fois plus que celle apportée en RCA.
Camp de réfugiés à Sam-Ouandja, au nord de la République centrafricaine.Les 11 et 12 juillet 2013, celle-ci s'est rendue sur place, ccompagnée de Valerie Amos, secrétaire générale adjointe des Nations Unies chargée des affaires humanitaires.
"L’Union européenne a le devoir de faire bouger les choses. Le monde ne peut pas continuer à ignorer cette crise comme ce fût le cas en Somalie", a expliqué la commissaire à Youphil.com. L'engagement européen est salué par les ONG: "Il faut reconnaître l'implication de l'UE en RCA", souligne Bérangère Tripon, responsable pour la corne de l'Afrique à l'ONG Solidarités international.
La commissaire a affirmé vouloir être la porte-parole de ce petit pays: "Mon ambition est de porter la cause de la RCA à l’ONU et notamment au Conseil de sécurité. Il faut mobiliser d’autres partenaires pour rétablir la stabilité." L’urgence, selon elle, est "d'assurer la sécurité, un préalable à tout action humanitaire." Cela va notamment passer par un renforcement de la Micopax, la Mission de consolidation de la paix en République centrafricaine, d'après elle.
Cette visite marque le début d’une réaction internationale concertée mais qui devra, dans les faits, être confirmée par une action concrète.
Crédit photos: Hdptcar/Flickr, 2007.Crédit carte 1: Crédit: CIA/WikimédiaCommons Crédit carte 2: Crédit UNHCR